Skip to main content
Article

Peintures antisalissure : que sont-elles et quels sont leurs effets sur l’environnement?

lecture de 11 minutes
Partager

L’innovation en matière de revêtements de coque permet aux navires d’améliorer leur efficacité énergétique, de réduire leurs émissions atmosphériques et de bruits sous-marins, et de prévenir la propagation d’espèces envahissantes.

Chaque jour, des milliers de navires marchands transitent d’une région du monde à l’autre, assurant les mouvements de marchandises et l’accès aux biens essentiels. Avec des durées de vie de l’ordre de 20 à 25 ans, les navires commerciaux passent beaucoup de temps dans l’océan, parcourant des dizaines de milliers de miles nautiques et traversant d’innombrables écosystèmes marins.

Si la coque n’est pas traitée avec des revêtements spéciaux, des petits organismes marins peuvent s’y accumuler et augmenter la résistance du navire dans l’eau, entraînant une augmentation de la consommation de carburant, des émissions atmosphériques et des niveaux de bruit sous-marin. Qui plus est, les parties submergées des navires deviennent des véhicules pour le transfert et la propagation d’espèces aquatiques envahissantes telles que la moule zébrée, les pouces-pieds et les tuniciers.

Avant d’aborder plus en détail les revêtements de coque, leurs avantages, leurs incidences environnementales, leurs avancées technologiques et la manière dont ils sont réglementés, examinons pourquoi ils sont nécessaires en premier lieu.

Qu’est-ce que l’encrassement biologique et comment affecte-t-il le transport maritime et le milieu marin?

Avez-vous déjà remarqué l’accumulation d’algues ou de crustacés sur les parties immergées des structures de bord de mer, comme les piliers d’un quai? Si c’est le cas, vous avez été témoin d’un encrassement biologique. Par ce processus, également appelé salissure marine, des espèces et des organismes marins s’installent et s’accumulent sur les nombreux recoins, surfaces et cavités des structures sous-marines. Quand l’encrassement biologique se produit sur les coques, les hélices, les prises d’eau et les autres parties des navires en contact avec l’eau, les espèces marines peuvent quitter leur écosystème d’origine pour un nouvel écosystème. Elles sont alors considérées comme des espèces envahissantes, car elles perturbent l’équilibre du nouvel écosystème, ce qui peut menacer la survie des espèces indigènes de la région.

Les moules et les pouces-pieds sont parmi les nombreuses espèces qui peuvent se fixer à la coque des navires et s’accumuler au fil du temps, réduisant l’efficacité des transits en augmentant la résistance dans l’eau, et risquant de devenir des envahisseurs dans différents écosystèmes.

Or, la propagation d’espèces envahissantes n’est pas le seul effet négatif de l’encrassement biologique. L’accumulation d’organismes marins sur les surfaces immergées des navires a également une incidence significative sur leur rendement énergétique et, par conséquent, sur leur empreinte écologique globale. Pourquoi? Parce que, tout comme les lignes aérodynamiques d’une voiture optimisent la vitesse et le rendement sur la route, une coque profilée permet aux navires de se déplacer efficacement dans l’eau.

Quand les espèces marines se fixent aux navires, elles rendent la coque rugueuse, créant de la friction et de la résistance dans l’eau. Cette résistance amène les navires à consommer davantage de carburant et à émettre plus de polluants atmosphériques et de gaz à effet de serre au cours de leurs voyages. D’ailleurs, il est estimé que l’encrassement biologique – notamment l’accumulation de crustacés comme les pouces-pieds – peut augmenter la résistance d’un navire dans l’eau de 20 à 60%, ce qui le ralentit et entraîne une augmentation de 40 % de sa consommation de carburant.1

Non seulement une consommation de carburant plus élevée est néfaste pour l’environnement, mais elle augmente le coût opérationnel pour les exploitants de navires et, ultimement, pour les consommateurs qui dépendent du transport maritime pour avoir accès aux biens et aux marchandises. La friction dans l’eau causée par les coques et les hélices encrassées par des organismes marins peut également influencer les niveaux de bruit sous-marin émis par les navires dans l’environnement marin, ce qui peut perturber les fréquences que les mammifères marins comme les baleines utilisent pour communiquer, se nourrir, se reproduire et éviter les dangers et, par conséquent, menacer leur survie.

Peut-on prévenir l’encrassement biologique en se contentant de racler les espèces marines de la surface des navires par le nettoyage des coques? Bien que le nettoyage des coques fasse partie de la solution, il s’agit d’un processus coûteux et long qui doit être répété. Qui plus est, s’il n’est pas effectué correctement, le nettoyage des coques peut accélérer le transfert d’espèces envahissantes. C’est là que les peintures antisalissure entrent en jeu.

Nettoyage de la coque sous l’eau. Photo par Marine Tankers

Que sont les peintures antisalissure et comment préviennent-elles l’encrassement biologique?

L’une des principales solutions, et la plus efficace, pour prévenir, gérer et contrer les effets environnementaux et économiques de l’encrassement biologique des navires est l’utilisation de revêtements antisalissure. Ces derniers consistent en un type de peinture appliquée sur la coque pour empêcher les espèces et organismes marins – pouces-pieds, moules zébrées, algues et autres – de se fixer sur les surfaces submergées des navires. Les peintures antisalissure jouent un rôle important dans la prévention du transfert et de la propagation des espèces envahissantes par les navires et dans la garantie que les navires commerciaux peuvent naviguer sans résistance inutile, améliorant leur fluidité dans l’eau, ainsi que le rendement global et la durabilité de leurs voyages.

Les peintures antisalissure sont-elles nocives pour l’environnement marin?

Les revêtements de coque ne sont pas nouveaux. Depuis des siècles, les marins et les navigateurs tentent d’empêcher la vie aquatique de proliférer sur les navires grâce aux revêtements de coque, notamment de fines feuilles de cuivre clouées sur les coques. En raison de sa toxicité pour les organismes marins, le cuivre était la solution privilégiée pour contrer l’encrassement biologique depuis les premiers jours du transport maritime. Mais comme il accélère la corrosion, le cuivre n’était plus une solution viable quand le fer a remplacé le bois comme matériau prédominant dans la construction des navires. C’est alors que les peintures (revêtements de coque) sont apparues comme la solution antisalissure par excellence.

Bien qu’elles soient efficaces pour prévenir la bioaccumulation, ces peintures, faites à partir de composés comme le cuivre, l’arsenic et d’autres biocides, finissent par s’écailler ou par être lessivées dans l’eau, libérant des substances chimiques nocives dans l’environnement marin. Ces composés toxiques sont ingérés par les organismes marins, contaminent la chaîne alimentaire et perturbent la croissance de la vie marine.2 Bien que l’utilisation de biocides nocifs comme le tributylétain (TBT)3 dans les peintures antisalissure soit interdite depuis 2008, les revêtements à base de cuivre, qui transforment les coques en environnements hostiles à l’installation et à la croissance de la vie marine, sont encore utilisés à ce jour.

Les peintures antisalissure à faible frottement qui rendent l’attachement plus difficile pour les espèces marines – au lieu de les éliminer – constituent une solution de rechange. La peinture antisalissure à base de téflon est l’une d’entre elles. Tout comme dans la cuisine, le téflon empêche quoi que ce soit de «coller» sur la surface du navire et d’être transféré d’une région du monde à une autre. Mais comme d’autres revêtements de coque, les peintures à base de téflon finissent par s’écailler et les résidus de plastique se retrouvent directement dans l’océan.

Bien que les technologies antisalissure aient évolué et se soient améliorées au cours des dernières décennies, il est encore possible de les perfectionner au point d’éliminer la toxicité et la pollution par le plastique qui peuvent résulter de l’écaillage des revêtements. Des innovateurs canadiens travaillent actuellement à l’élaboration et au perfectionnement de certaines de ces technologies.

Quelles sont les technologies antisalissure en cours de développement?

Trois entreprises canadiennes travaillent sur des technologies antisalissure qui sont à la fois sûres pour l’environnement marin et améliorent l’efficacité des voyages.

A20 Advanced Materials Inc.

Pour prévenir la pollution provenant des peintures antisalissure dans l’environnement marin, la société A20 Advanced Materials Inc., basée à Vancouver, a mis au point une nouvelle couche adhésive sous-marine permettant de prévenir la corrosion et l’adhérence durable d’un revêtement antisalissure à faible frottement. Leur revêtement non toxique peut augmenter la durée de vie des actifs maritimes tout en améliorant l’efficacité énergétique des navires par une réduction de leur résistance dans l’eau. Cette technologie est issue de recherches menées au Département de chimie et de génie chimique et biologique de l’Université de la Colombie-Britannique. A20 travaille actuellement à valider la technologie par l’entremise de démonstrations pilotes réalisées sur de petites embarcations ainsi que sur des infrastructures sous-marines.

Graphite Innovation & Technologies (GIT)

Cette organisation, basée à Halifax, a emprunté une voie différente en mettant au point un revêtement à faible coefficient de frottement imprégné de particules de graphène qui le rendent extrêmement glissant et durable. En plus d’empêcher les organismes marins de se fixer à la surface glissante, ce revêtement ne contient pas de biocides qui pourraient être lessivés ni de microplastiques susceptibles de s’écailler. Il possède également d’étonnantes propriétés d’insonorisation. Les premiers résultats d’essais à grande échelle sur des bateaux de pêche à Halifax ont montré qu’un bateau nettoyé et fraîchement peint avec le revêtement de GIT glisse sur l’eau plus efficacement qu’avant son nettoyage. L’entreprise affirme que le revêtement est encore plus glissant que la peinture conventionnelle, mais elle n’a pas encore publié les résultats des essais. D’autres tests sont en cours pour déterminer dans quelle mesure ce revêtement ralentit le processus de bioaccumulation.

Mirapakon

La société québécoise Mirapakon travaille à la mise en marché d’un revêtement à base de silicium – exempt de composés toxiques – développé par la marine américaine, dans le but d’améliorer l’efficacité des activités maritimes comme le transport, en réduisant la consommation de carburant grâce à des coques exemptes d’organismes susceptibles de créer une résistance. Dans le cadre de récents essais, la technologie a été testée dans des eaux douces et océaniques, notamment dans le fleuve Saint-Laurent.

Quelles règles encadrent l’utilisation de peintures antisalissure et la prévention de l’encrassement biologique?

À l’international

Consciente du fait que l’encrassement biologique et les traitements visant à prévenir ce phénomène peuvent nuire à l’environnement marin, l’Organisation maritime internationale (OMI) – l’agence responsable de la sécurité et de la sûreté du transport maritime international et de la prévention de la pollution causée par les navires – a établi une convention antisalissure ainsi que des directives pour contrôler l’encrassement biologique, tout en s’engageant à poursuivre la recherche sur ces sujets.

En 2001, la Convention internationale sur le contrôle des systèmes antisalissure nuisibles sur les navires, qui interdit l’utilisation de substances nuisibles (composés métalliques, tributylétain et autres) dans les peintures antisalissure, a été établie. Elle a été modifiée en 2021 pour limiter l’utilisation de peintures antisalissure contenant de la cybutryne, un autre produit chimique nocif pour la vie marine.

En 2011, l’OMI a publié des Directives pour le contrôle et la gestion de l’encrassement biologique des navires en vue de réduire au minimum le transfert d’espèces aquatiques envahissantes, fournissant aux propriétaires et aux exploitants de navires des recommandations pour prévenir la bioaccumulation et réduire les risques qui y sont associés, notamment :

  • Appliquer des peintures antisalissure sur la coque et les autres parties immergées du navire;
  • Inspecter et nettoyer la coque et les recoins immergés;
  • Élaborer un plan de gestion et consigner les mesures prises pour prévenir l’encrassement biologique (comme le type de revêtement utilisé, la date d’application, etc.)
  • Tenir compte du type, de la conception et de la vitesse du navire dans le choix du système antisalissure à utiliser.

En 2019, l’OMI a procédé à une évaluation de la pollution par les microplastiques provenant des revêtements de coque. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre les contributions des microplastiques provenant du nettoyage et de l’entretien des revêtements.

Au Canada

Le Règlement sur la pollution par les bâtiments et sur les produits chimiques dangereux exige que tous les navires de 400 tonnes brutes ou plus dans les eaux canadiennes ainsi que tous les navires canadiens de cette jauge brute, où qu’ils se trouvent, aient à bord un certificat international du système antisalissure ou un certificat de conformité attestant qu’ils répondent aux exigences de la Convention sur les systèmes antisalissure.4 Les navires d’une longueur d’au moins 24 mètres, mais d’une jauge brute inférieure à 400 tonneaux, qui effectuent des voyages nationaux et internationaux, doivent avoir à bord une déclaration confirmant que les peintures ou traitements antisalissure qu’ils utilisent sont également conformes aux exigences de la convention. Concrètement, le respect de ces exigences signifie que les navires utilisent des revêtements antisalissure exempts de composés interdits tels que les tributylétains ou, si c’est le cas, que ces produits chimiques nocifs ont été encapsulés pour éviter qu’ils ne s’infiltrent dans l’eau.5,6 Le Canada continue de mener des recherches et de réévaluer les probabilités d’introduction d’espèces envahissantes par la voie de l’encrassement biologique des navires pour appuyer le développement de politiques en la matière.

La voie à venir : un exercice d’équilibriste

Les revêtements antisalissure semblent être une solution gagnante pour tous en empêchant la propagation des espèces envahissantes et en réduisant les émissions atmosphériques des navires. Mais, dans de nombreux cas, les mesures et les solutions destinées à résoudre un problème précis s’accompagnent souvent de conséquences inattendues et de compromis environnementaux. Les technologies de revêtement de coque ne sont pas différentes. Leurs effets sur l’environnement doivent être pris en compte et entièrement examinés pour garantir que des solutions à impact zéro puissent être élaborées et que nous puissions réellement naviguer vers un avenir plus durable.

Références

1 Elçiçen H., Guzel B. (2017). Experimental investigation of the effects of biofouling on ship drag [document de conférence]. Conférences internationales sur l’ingénierie et les sciences naturelles 2017, Budapest.
2 Organisation maritime internationale. (2019). Systèmes antisalissures (en anglais).
3 L’organoétain tributylétain (TBT), un produit chimique qui s’est avéré à perturber l’intégrité de certaines espèces de mollusques en provoquant des déformations et des changements de sexe, est l’un des composés interdits par la Convention sur le contrôle des systèmes antisalissure nuisibles sur les navires. Le TBT était couramment utilisé dans les peintures antisalissure mises au point dans les années 1960.
4 Gouvernement du Canada. (2022). Règlement sur la pollution par les bâtiments et sur les produits chimiques dangereux. Section 8 – Systèmes antisalissure.
5 Ibid.
6 Transports Canada. (2019). Systèmes antisalissures. Gouvernement du Canada.

Publié | Modifié le