« Nous dépendons du transport de marchandises par navire, mais nous n’avons pas à maintenir le statu quo. Nous ne pouvons pas maintenir le statu quo; il existe une meilleure solution » – Tony R. Walker
Tony R. Walker, Ph. D., est professeur adjoint à l’École d’études sur les ressources et l’environnement de l’Université Dalhousie à Halifax, Nouvelle-Écosse, Canada. Il mène des recherches sur la gestion et l’assainissement des sites contaminés, les incidences écologiques et la réduction de la pollution industrielle, l’évaluation des risques écologiques et le suivi des effets sur l’environnement, la gestion des impacts liés à l’aquaculture, la gestion des ressources naturelles dans l’Arctique et l’Antarctique, de même que sur les impacts de la pollution atmosphérique sur les écosystèmes. Ses plus récentes recherches, portant sur la gestion et la surveillance environnementales au Canada, ont été effectuées en partenariat avec les acteurs de l’industrie du transport maritime.
Entrevue
Parlez-nous de vos recherches
Je travaille sur plusieurs projets, entre autres, sur les contaminants traditionnels, l’assainissement des sites, le transport durable et les effets du plastique dans l’environnement. Un de ces projets est le Green Shipping Partnership (partenariat de transport durable), dirigé par l’Université de la Colombie-Britannique, auquel participent de nombreuses universités canadiennes et internationales de même que des partenaires de l’industrie du transport maritime. Mes recherches portent principalement sur l’atténuation de l’impact du transport maritime sur l’environnement.
Mes études partagent un même objectif : cataloguer les incidences environnementales afin d’avoir un portrait global de la situation au fil du temps. Une de ces études, intitulée Green Marine: An environmental program to establish sustainability in marine transportation (Alliance verte : un programme environnemental pour une industrie du transport maritime durable), nous a permis de conclure que les mesures visant à accroître la durabilité comportent des avantages à la fois pour l’environnement et pour l’industrie. Initialement, la mise en œuvre de ces mesures peut poser certains défis, mais les entreprises de transport constatent qu’elles améliorent leur image de marque, leur réputation et leur rentabilité à long terme.
Une de mes recherches récentes a fait l’objet d’un chapitre dans la collection de livres World Seas. J’ai dirigé la rédaction du chapitre Environmental Effects of Marine Transportation (effets du transport maritime sur l’environnement) du troisième volume intitulé Ecological Issues and Environmental Impacts (problèmes écologiques et incidences environnementales) qui traite des incidences du transport maritime.
Quels étaient les objectifs de cette recherche?
Cette recherche, qui s’appuie sur mon étude antérieure pour l’Alliance verte, avait pour objectif d’étudier en détail chacune des principales incidences environnementales du transport maritime.
Une petite équipe de diplômés a joué un rôle important dans cette recherche, notamment en examinant la pollution atmosphérique, les collisions des mammifères marins et autres grands animaux avec les navires, les bruits sous-marins, et tout le reste. Nous avons étudié près d’une douzaine de catégories d’incidences environnementales et avons présenté des stratégies d’atténuation qui, lorsque mises en œuvre de manière appropriée, pourraient permettre à l’industrie de réduire ces incidences.
Pour chacune des incidences étudiées, nous avons utilisé des données empiriques et les résultats d’autres études. Comme il s’agit des dix principales incidences recensées à l’aide de divers indicateurs de durabilité ou de rendement partout dans le monde, nous avions accès à un grand nombre de données. Par exemple, une des grandes incidences environnementales des navires est la pollution atmosphérique. Même si les navires sont un moyen de transport efficace pour les marchandises, ils émettent des gaz à effet de serre et du dioxyde de carbone. Lorsque nous avons étudié cette incidence, nous avons fait un survol rapide des types de carburants marins disponibles et des émissions qu’ils produisent. Nous avons ensuite examiné quelques-unes des technologies propres ainsi que le projet de réglementation de l’Organisation maritime internationale qui vise à décarboniser l’industrie.
Quel est le message clé de cette étude?
Pour les individus qui ne sont pas familiers avec le sujet, ce chapitre est un excellent point de départ. Je crois que cette étude est un bon outil de référence pour les décideurs publics et les jeunes chercheurs qui s’intéressent au sujet.
Grâce à cette recherche, nous avons découvert que la plupart des individus ne connaissent pas l’incidence des navires de charge sur l’environnement et sur leur vie. Les navires transportent 90 % des biens que nous utilisons, mais à moins d’habiter près d’un port, nous ne voyons pas cette incidence et n’y pensons pas. La plupart des gens ne réalisent pas que leurs ordinateurs portables, leurs téléphones cellulaires et presque tout ce qu’ils utilisent au quotidien est transporté par navire.
Bien qu’ils jouent un rôle crucial dans le transport mondial des marchandises, les navires qui circulent dans l’Atlantique ou le Pacifique causent des bruits sous-marins qui nuisent aux mammifères marins et peuvent même entrer en collision avec ceux-ci. Ces incidences ne sont pas nécessairement comprises du grand public.
Je souhaite que cette publication qui recueille la littérature scientifique actuelle permette de dresser le portrait des incidences environnementales liées au transport maritime et des stratégies en place pour les atténuer. Les perspectives ne sont pas toutes sombres; nous mettons en relief une voie à suivre pour avoir une industrie du transport maritime plus écologique.
De quelle façon votre recherche pourrait-elle être appliquée?
Comme cette recherche ressemblait davantage à une revue de la littérature, nous n’avons pas créé de nouvelles connaissances ni de données empiriques. Selon moi, le principal avantage de cette recherche est qu’elle présente et vulgarise le concept d’incidence environnementale à un plus vaste auditoire : le grand public, et même les individus qui travaillent dans l’industrie du transport maritime. Les dirigeants des compagnies de transport maritime sont de plus en plus conscients de leur empreinte environnementale.
De nombreuses organisations pourraient mener leurs activités de façon beaucoup plus écologique en appliquant les pratiques exemplaires ou les autres stratégies d’atténuation contenues dans cette recherche. Certaines mesures peuvent être très coûteuses; la mise à niveau du moteur d’un navire en est un bon exemple. En revanche, d’autres mesures, telles que la modification de l’endroit et de la façon de décharger le navire ou de remplir les ballasts d’eau, comportent peu de frais. En appliquant les meilleurs protocoles de gestion, ces mesures peuvent permettre de réduire de façon importante les incidences environnementales des activités de transport maritime.
Dans le passé, l’industrie du transport maritime cherchait surtout à faire des profits, mais aujourd’hui, elle accorde beaucoup d’importance au caractère durable de ses activités et à son engagement avec les collectivités. Je crois que cette étude contribue à ouvrir le dialogue en proposant un moyen d’aller de l’avant à tous les membres de la société. Les résultats de cette recherche ont été appliqués, entre autres, par l’Administration portuaire Vancouver-Fraser et l’Administration portuaire d’Halifax, de même que par des autorités portuaires internationales, afin de rendre l’industrie du transport maritime globalement plus écologique.
Comment cette recherche a-t-elle été financée?
En fait, cette recherche n’a pas vraiment été financée. En 2017, le directeur du Marine Pollution Bulletin, Charles Sheppard, m’a contacté pour me demander de rédiger un chapitre de la collection World Seas, mais aucun financement n’a été offert. Comme je suis professeur de recherche et chercheur, j’ai soumis le projet à un petit groupe de diplômés dans un de mes cours réservé à des « sujets spéciaux ». Nous avons tous eu l’idée de transformer le cours en atelier pour rédiger ce chapitre, en misant fortement sur l’enseignement entre pairs. Nous avons réalisé ce projet parce que le sujet nous intéressait et les étudiants ont fait un travail formidable, digne d’être publié.
Qu’aimeriez-vous que le public sache à propos de vos recherches?
J’aimerais que le public connaisse mieux les stratégies novatrices que les ports utilisent pour réduire leurs incidences environnementales. Les administrations portuaires canadiennes ont une incidence environnementale consciente et compensatoire grâce à la prise de mesures comme la vérification des émissions de gaz à effet de serre qui découlent de leurs activités, l’alimentation d’électricité à quai et la circulation efficace des navires et des marchandises. Grand nombre de ces mesures sont rentables, tout en permettant de réduire la pollution.
Nous dépendons de ce réseau de transport mondial et nous allons devoir vivre aux côtés de l’industrie du transport maritime. C’est une réalité que nous devons accepter, mais que nous devons façonner et améliorer de toutes les façons possibles. De nombreux ports sollicitent les commentaires du public pour l’élaboration de leurs plans de durabilité. Si vous utilisez des biens, vous faites partie du problème, mais vous pouvez aussi faire partie de la solution.
Qu’aimeriez-vous que le public sache à propos du transport maritime commercial?
Si un plus grand nombre d’individus comprenaient le processus de transport, ils comprendraient que tout a un coût. Même le navire le plus écologique et les activités portuaires les plus durables nuisent à l’environnement, point final. Tout a une incidence.
Je pense qu’en tant que consommateurs, nous pourrions nous poser la question suivante : « d’où vient l’article que j’achète? » Idéalement, il faudrait consommer moins, mais nous sommes 7,6 milliards d’habitants sur la planète et nous devons importer nos biens de quelque part, car c’est comme ça que fonctionne le marché.
Toutefois, nous pouvons faire des choix conscients. Si nous consommons moins en faisant des choix intelligents, cela favorisera la durabilité de l’industrie du transport maritime. Si la demande de produits de consommation diminue, les entreprises de transport toujours en activité rationaliseront leurs activités et seront plus concurrentielles, grâce à des pratiques plus efficaces et plus durables. Les entreprises qui sont incapables d’emboîter le pas ou qui tardent à le faire et qui continuent de causer des dommages à l’environnement n’obtiendront pas de contrats des grands fournisseurs ou des grands fabricants. Canadian Tire ne voudra pas que tous ses produits et marchandises soient transportés par une entreprise qui nuit à l’environnement, car cela nuirait à ses relations publiques. Le succès engendre le succès, et les entreprises socialement responsables sont acceptées par la société.
Qu’est-ce qui vous inspire à mener ces recherches?
Je crois que ma motivation vient en grande partie de mes jeunes collègues et de mes étudiants, qui déploient un effort constant pour développer des connaissances dans de nombreux domaines, afin que nous puissions dresser un portrait global de la situation. Certains de mes étudiants diplômés font des recherches sur différents aspects de la responsabilité sociale des entreprises en ce qui touche la durabilité du transport et des activités portuaires. Nous avons encore beaucoup de travail à faire. Nous dépendons du transport de marchandises par navire, mais nous n’avons pas à maintenir le statu quo. Nous ne pouvons pas maintenir le statu quo, il existe une meilleure solution. Je pense que toute innovation ou toute technologie qui nous permettra d’atteindre cet objectif sera la bienvenue.
Où pouvons-nous en apprendre davantage?
Vous trouverez deux documents complets sur des initiatives de durabilité ici et ici.
À propos de Tony R. Walker, Ph. D.
Dr. Walker détient un baccalauréat en sciences de l’Université de Portsmouth, une maîtrise en philosophie de l’Université d’Essex et un doctorat en philosophie de l’Université de Nottingham, toutes au Royaume-Uni. Il est boursier de recherches postdoctorales à l’Université Dalhousie à Halifax, en Nouvelle-Écosse.
Ses sujets de recherche d’intérêt comprennent la conservation de la biodiversité, les systèmes marins et d’eau douce, la santé et la justice environnementale, la durabilité des industries ainsi que les enjeux urbains et régionaux.
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