L’utilisation des voies navigables côtières et intérieures pour transporter des marchandises sur de courtes distances peut non seulement réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), mais aussi désengorger les routes et les chemins de fer.
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Lorsque vous pensez au transport maritime, vous imaginez peut-être un gigantesque navire dans l’océan ou dans un port après un long trajet depuis une destination lointaine. Bien que les définitions exactes varient d’un pays à l’autre, le transport maritime à courte distance est généralement considéré comme l’acheminement de marchandises par mer, lac ou rivière sans traverser d’océan.1
Le transport maritime à courte distance est un élément important des réseaux intermodaux dans le monde entier. Par exemple, les nombreux cours d’eau de l’Europe la rendent particulièrement adaptée à un réseau de transport maritime à courte distance qui assure 60 % du commerce intra-européen.2
Les marchandises transportées par bateau le long des voies navigables intérieures ou entre les ports côtiers sont ensuite déchargées et terminent leur voyage par transport terrestre, que ce soit par train ou par camion. Lorsque des voies navigables adéquates sont disponibles, le transport de marchandises sur l’eau le plus loin possible augmente la capacité de transport, réduit les besoins en personnel et peut réduire les émissions de gaz à effet de serre.
« Autoroutes maritimes » – Le transport maritime à courte distance au Canada et aux États-Unis
L’intérêt pour le transport maritime à courte distance en Amérique du Nord s’est accru au cours des vingt dernières années en raison de son potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ces routes sont parfois appelées « autoroutes maritimes », par analogie avec le système autoroutier américain. Toutefois, les possibilités de mise en œuvre sont limitées par la géographie de l’Amérique du Nord, une grande partie du continent étant enclavée et inaccessible par voie navigable.
Malgré ces limitations, des réseaux de transport maritime prospères existent et continuent de se développer, notamment la voie maritime binationale Saint-Laurent–Grands Lacs et le fleuve Mississippi aux États-Unis. Un nouveau réseau d’installations fluviales pour conteneurs devrait ouvrir en 2024, ce qui augmentera encore la capacité commerciale du Mississippi.3 Le port de Windsor, stratégiquement situé sur la rivière Détroit entre les lacs Érié et Sainte-Claire et la porte d’entrée du lac Huron, vient d’annoncer l’élargissement d’un terminal de fret multimodal qui devrait être achevé en 2026.44
Le transport maritime à courte distance existe également, dans une moindre mesure, entre les ports des côtes atlantique et pacifique et dans l’Arctique. Au Canada, sur la côte Est, il existe un service reliant Montréal (Québec) à Halifax (Nouvelle-Écosse) et St. John’s (Terre-Neuve), appelé Oceanex, ainsi que des lignes reliant Halifax (Nouvelle-Écosse) à Portland (Maine) et à Boston (Massachusetts). Sur la côte pacifique, il existe des lignes régionales de remorqueurs et de barges dans la vallée du bas Fraser, près de la région métropolitaine de Vancouver, vers l’île de Vancouver, et des lignes de Vancouver vers Seattle et Prince Rupert.5
Dans l’Arctique, les routes maritimes à courte distance sont utilisées pour transporter des matériaux en vrac et des cargaisons sèches pour les communautés, les installations de défense et les sites d’exploration pétrolière et gazière.6 Le plus grand exploitant maritime dans l’Arctique de l’Ouest est le Service de transport maritime du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, qui exploite une flotte de remorqueurs et de barges dans le bassin hydrographique du fleuve Mackenzie et sur la côte et les îles de l’Arctique. Les opérations de réapprovisionnement des communautés éloignées de l’Est de l’Arctique, qui consistent à acheminer des cargaisons sèches et du carburant en vrac du sud vers les communautés du Nord, est coordonné par le gouvernement du Nunavut et assuré par de nombreuses compagnies maritimes commerciales.
Quels sont les avantages du transport maritime à courte distance?
Le transport maritime à courte distance présente plusieurs avantages environnementaux et économiques par rapport au transport de marchandises par voie terrestre et, dans une moindre mesure, au transport par rail.
Les navires sont le moyen le plus économe en carburant pour transporter des marchandises et produisent le moins d’émissions de carbone et de contaminants atmosphériques. Une étude sur les avantages environnementaux commandée par la Chambre de commerce maritime (CCM) et réalisée par le Research and Traffic Group a démontré qu’un navire moyen circulant dans la Voie maritime du Saint-Laurent et des Grands Lacs peut transporter une tonne de marchandises sur 394 kilomètres avec un litre de carburant, contre 226 kilomètres en train ou 49 kilomètres en camion.
Leur analyse montre que si la même cargaison était transportée par rail ou par camion sur la même distance, les émissions de gaz à effet de serre seraient supérieures de 31 % pour le rail et de 558 % pour le camion. 7
La plus grande capacité de transport des navires par rapport aux camions ou aux wagons permet également d’améliorer l’efficacité économique. Moins de personnes sont nécessaires pour transporter les marchandises, et le risque de perte de marchandises par vol ou détérioration est également moindre lorsque la majeure partie du transport s’effectue par voie maritime, avec moins de points de contact humains le long du trajet8.
L’utilisation du transport maritime à courte distance peut également réduire la congestion des autoroutes et les coûts d’entretien en raison de la diminution du nombre de camions sur les routes. Si la même quantité de marchandises transportées par la flotte de la Voie maritime du Saint-Laurent et des Grands Lacs était transportée par camion, les coûts d’entretien des autoroutes augmenteraient de 4,6 milliards de dollars sur 60 ans7. Parmi les autres avantages, citons la réduction des niveaux de bruit pour les quartiers environnants, la diminution des risques d’accidents de la route et la réduction des niveaux de pollution atmosphérique (oxydes d’azote et de soufre et matières particulaires, par exemple)1. 1
Une étude réalisée en 2020 par Transports Canada a utilisé la modélisation multivariée pour évaluer les répercussions environnementales et sociales du transport maritime à courte distance au Canada, en comparant les résultats à ceux du transport par rail et du transport routier9. L’étude a comparé le transport ferroviaire, routier et maritime dans quatre scénarios modélisés : les Grands Lacs, la Voie maritime du Saint-Laurent, la côte Est et la côte Ouest. Les résultats ont montré que les coûts environnementaux et sociaux étaient nettement moins élevés pour le transport maritime que pour les autres formes de transport dans trois des quatre scénarios. L’exception était la Voie maritime du Saint-Laurent, dans laquelle le transport maritime était encore beaucoup moins coûteux que le transport routier, mais le transport ferroviaire et le transport maritime étaient comparables, probablement parce que la distance à parcourir par le transport maritime dans la Voie maritime est environ 50 % plus élevée que la distance à parcourir par les deux autres modes de transport.9 9
Une étude publiée en mai 2023, réalisée dans le cadre d’un partenariat entre l’Administration portuaire de Hamilton-Oshawa (HOPA) et le McMaster Institute for Transportation and Logistics, avec le soutien de Transports Canada, a fait ressortir des avantages évidents. « Actuellement, plus de 12 000 camions par semaine effectuent des trajets transfrontaliers entre le sud de l’Ontario et les zones portuaires des Grands Lacs américains, transportant des denrées non périssables qui sont des candidats idéaux pour qu’un service maritime s’occupe du ‘kilomètre intermédiaire long-courrier’ », indique un résumé de l’étude10.
« Le transport maritime à courte distance est une idée tout à fait opportune. Cette étude nous fournit les données réelles dont nous avons besoin pour cerner les marchandises et les itinéraires les plus prometteurs, où le transport maritime peut contribuer à relever les défis croissants de la circulation des marchandises », a déclaré Ian Hamilton, président et directeur général de la HOPA. « La croissance démographique et la congestion des autoroutes, la pénurie de chauffeurs et le coût du carburant font tous partie de la tempête parfaite qui frappe les chaînes d’approvisionnement nord-américaines. Le transport maritime à courte distance contribue à résoudre tous ces problèmes. »
Quels sont les défis auxquels est confronté le transport maritime à courte distance?
Si le transport maritime à courte distance présente de nombreux avantages, il s’accompagne également de certains défis, en particulier lorsqu’il s’agit de développer de nouveaux réseaux de transport maritime à courte distance ou d’étendre les réseaux existants. Pour être viable, le transport maritime à courte distance doit être compétitif en termes de coûts, efficace et offrir des temps de transit raisonnables.
L’augmentation du transport maritime à courte distance entraînera des coûts initiaux considérables, notamment d’importantes mises à niveau de l’infrastructure. Par exemple, les travaux d’expansion en cours pour le fleuve Mississippi sont un projet pluriannuel qui comprend la mise en place d’installations de terminaux à conteneurs dans plusieurs villes et l’agrandissement d’autres terminaux et voies ferrées3. Bien qu’il s’agisse là d’un excellent investissement dans l’infrastructure, qui présente des avantages à long terme, cela peut constituer un obstacle pour les investisseurs potentiels et les partenaires gouvernementaux, en particulier lorsqu’une grande partie de l’infrastructure maritime existante a également besoin d’être mise à niveau11. En comparaison, le transport par camion peut sembler moins cher, bien que les coûts indirects liés à l’usure des routes et des ponts par les camions, ainsi que les coûts de carburant associés et les effets de la pollution atmosphérique, puissent être tout aussi dispendieux au fil du temps.
Les activités de transport maritime à courte distance en Amérique du Nord sont en outre entravées par le réseau déjà solide de transport terrestre, qui est souvent plus rapide. Les réseaux disponibles de transport ferroviaire pour les longues distances et de transport routier pour les courtes distances font du transport maritime à courte distance un créneau dont le potentiel de croissance est limité. Les frais de manutention des conteneurs dans les ports empêchent certaines liaisons d’être compétitives par rapport aux services par camion, comme le service de barges entre les ports californiens d’Oakland et de Stockton, inauguré en 2013 mais interrompu seulement un an plus tard12. Au Canada, le potentiel du transport maritime à courte distance est également limité par des facteurs saisonniers sur la Voie maritime du Saint-Laurent et des Grands Lacs et dans l’Arctique, où la glace limite le nombre de mois pendant lesquels les navires peuvent circuler.
Qu’est-ce que le Jones Act?
Les restrictions réglementaires au commerce empêchent également de nombreuses routes nord-américaines potentielles pour le transport maritime à courte distance d’être économiquement viables. Par exemple, la Merchant Marine Act of 1920 (loi américaine de 1920 sur la marine marchande), mieux connue sous le nom de Jones Act, stipule que toute cargaison se déplaçant entre des ports nationaux doit être transportée par un navire construit aux États-Unis, doté d’un équipage et battant pavillon américain. De même, la Loi canadienne sur le cabotage réserve le cabotage du Canada aux navires immatriculés au Canada, à quelques exceptions près. Ces lois empêchent le routage binational pour le transport maritime à courte distance vers plusieurs ports et rendent le transport maritime national à courte distance plus cher parce que les équipages des navires exploités au Canada sont mieux payés que les équipages des navires internationaux. On peut se demander si ces mesures protectionnistes servent toujours les intérêts économiques (et de santé humaine) du Canada ou si une plus grande souplesse dans le choix des navires autorisés à naviguer entre les ports canadiens ne rendrait pas le transport maritime national à courte distance plus viable13.
Malgré ces difficultés, le transport maritime à courte distance reste un élément important du système de commerce intermodal nord-américain, et les discussions sur la manière dont cette forme de transport économe en énergie peut contribuer davantage au transport de marchandises se poursuivront à l’avenir.
Références
1 Transport maritime à courte distance. (2023). Groupe CSL.
2 European Shortsea Network. (2023). European ShortSea Network.
3 Marsh, J. Inland port network coming to Mississippi river. (2022). Freight Waves.
4 Massive multi-modal hub in the works for Port of Windsor. (2023). Daily Commercial News.
5 Short Sea Shipping in Metro Vancouver. (2015). Metro Vancouver.
6 Transport Canada. Réapprovisionnement des collectivités du Nord. (2010). Gouvernement du Canada.
7 Research and Traffic Group. (2013). Environmental and Social Impacts of Marine Transport in the Great Lakes-St. Lawrence Seaway Region (Résumé)..
8 6 ways to optimize your logistics with multimodal transport. (s.d.). Short Sea Promotion Centre.
9 Transport Canada. Évaluation des impacts environnementaux et sociaux et des avantages du transport maritime à courte distance au Canada. (2020). Gouvernement du Canada.
10 Fluid Intelligence. Foundational Study on Cross-Border Short-Sea Shipping Opportunities. (2023). McMaster Institute for Transportation and Logistics.
11 Transports Canada. Le gouvernement du Canada annonce comment il va changer le mode de fonctionnement des ports pour renforcer notre chaîne d’approvisionnement et rendre la vie plus abordable. (2022). Gouvernement du Canada.
12 Rodrigue, J. P. The North American Short Sea Shipping Market. (2020). The Geography of Transport Systems.
13 Hodgson, J. R. F., & Brooks, M. R. Canada’s Maritime Cabotage Policy. (2012). Programme des affaires maritimes, Université de Dalhousie.