Cinq ans après le naufrage du Nathan E. Stewart, qui a déversé l’équivalent d’un wagon de diesel dans l’océan,1 un incident similaire pourrait-il se produire aujourd’hui et serions-nous prêts à y faire face?
Lorsque le remorqueur immatriculé aux États-Unis s’est échoué dans le Passage de l’Intérieur de la Colombie-Britannique, l’événement n’a pas seulement touché l’environnement marin local, mais les efforts d’intervention ont mis en lumière l’importance de travailler avec les peuples autochtones. Bien que la structure de commandement unifiée mise en place immédiatement par les intervenants ait inclus la Nation Heiltsuk dans la prise de décision et l’intervention dès le début, la communauté a ressenti « de la colère, de l’aliénation et de la discrimination »2 qui persistent à ce jour. Le naufrage a également entraîné des changements importants en matière de sécurité maritime et de préparation en cas de déversement d’hydrocarbures, notamment la valorisation des connaissances et de la participation des peuples autochtones.
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Lorsque l’appel d’urgence a été reçu par la station de la Garde côtière de Prince Rupert depuis les eaux entourant Bella Bella, en Colombie-Britannique, après minuit le 13 octobre 2016, la voix du capitaine Sean Connor était calme, presque routinière. « Nathan E. Stewart. Bonjour. Nous nous sommes échoués ici. […] Nous prenons l’eau. »
Quelques heures après avoir prononcé ces mots, le remorqueur de 29 mètres de long, qui poussait un chaland vide appartenant à la société Kirby Offshore Marine Corp. (Kirby), basée au Texas, a commencé à déverser 110 000 litres de diesel dans les eaux près de Gale Creek, dans le passage Seaforth. Quelque 119 000 litres sont restés coincés dans ses réservoirs et ont finalement été récupérés quand le remorqueur a été sorti de l’eau un mois plus tard. Le chaland, bien que très endommagé, est resté à flot et a servi de refuge temporaire à l’équipage du remorqueur.
Les efforts de confinement et de renflouage du déversement ont été entravés par le mauvais temps, les forts courants et l’éloignement de la région où l’incident s’est produit. Selon la Western Canada Marine Response Corporation (WCMRC), contrairement aux huiles lourdes comme le combustible de soute ou le pétrole brut, les déversements de diesel sont plus difficiles à contenir. Des efforts ont été déployés pour en récupérer le plus possible, mais une certaine quantité s’est évaporée ou s’est dissipée et dissoute dans la colonne d’eau. Les barrages flottants ont eu du mal à contenir le déversement, surtout par mer agitée.3 En savoir plus sur le comportement du pétrole dans l’eau
Comment le déversement a touché la Nation Heiltsuk, ses terres et ses eaux traditionnelles
Alors que la nouvelle du naufrage faisait les manchettes, la nappe de carburant aux couleurs de l’arc-en-ciel s’étendait rapidement dans les eaux traditionnelles de la Nation Heiltsuk, qui habite la région depuis plus de 14 000 ans, gérant ses ressources sur lesquelles dépend sa subsistance. La gestion du territoire fait partie intégrante de la culture des Heiltsuk. Dans la conclusion du rapport d’enquête (en anglais) publié par le Conseil tribal Heiltsuk : « Le déversement s’est produit à environ un kilomètre de Q̓vúqvái, au cœur du territoire de Q̓vúqvayá̓itxv (les terres traditionnelles des Heiltsuk). Q̓vúqvái, était le principal village des Q̓vúqvayá̓itxv, ou ‘‘peuple des eaux calmes’’; le nom reflète les voies d’eau abritées de Gale Passage. »4 Environ 350 km de littoral ont été examinés.5
L’emplacement est plus qu’un simple point GPS sur une carte; il représente l’existence même des Heiltsuk et définit qui ils sont en tant que peuple. « Nos ancêtres ont choisi cet endroit comme site du village parce qu’il dispose d’une source d’eau douce toute l’année avec une incroyable biodiversité marine et un accès aux ressources de la mer tout au long des saisons de bakvla,6 notamment le hareng, les algues, le saumon, les poissons de fond et les crustacés ». Q̓vúqváí se trouve à Gale Passage, au bord du Pacifique ouvert, avec un accès vers la mer au passage Seaforth et au détroit de Millbank et à la baie Thompson à l’ouest. »7
Selon la Nation Heiltsuk, le déversement a eu une incidence sur les sources de nourriture naturelles de la communauté. Dans le documentaire Impossible to Contain, la réalisatrice Zoe Hopkins raconte comment le déversement a pollué l’approvisionnement alimentaire de la Nation à travers l’expérience de sa mère et de ses tantes alors qu’elles préparaient un repas familial typique. « C’est de là que vient la sécurité alimentaire, du caractère sacré de la mer », dit-elle, décrivant l’effet du déversement sur les bancs de palourdes, les concombres de mer, les ormeaux et d’autres aliments comme les œufs de hareng, les huîtres et les crevettes. La fermeture d’une pêcherie de palourdes, la perte de 50 emplois et une perte de revenus pouvant atteindre 200 000 dollars par an sont au cœur des revendications juridiques de la Nation Heiltsuk. « Nous ne récoltons toujours pas dans cette zone. Nous ne pratiquons pas nos activités culturelles à Gale Passage […]. Cela a été très traumatisant pour notre communauté » a déclaré Marilyn Slett, chef de la Nation Heiltsuk, à l’occasion du 5e anniversaire du déversement, dans le cadre de l’émission The Early Edition de la CBC.
Trois enquêtes établissent la cause du naufrage
Les enquêtes menées par le Bureau de la sécurité des transports (BST) du Canada, le National Transportation Safety Board des États-Unis et le Conseil tribal Heiltsuk ont permis de découvrir de graves erreurs qui ont mené à l’échouement et au déversement subséquent de carburant diesel. Le second capitaine, qui était seul sur le pont, était fatigué et s’est endormi. Par conséquent, il n’a pas effectué un changement de cap crucial et le remorqueur articulé et le chaland qu’il poussait ont heurté un récif et se sont échoués.
Les enquêtes ont révélé que les alarmes de navigation du navire qui auraient alerté le second capitaine que le remorqueur avait dévié de sa route n’ont pas été utilisées, et que le navire n’avait pas de système d’alarme de veille de navigation sur la passerelle pour surveiller l’activité sur cette dernière et détecter les lacunes dans la veille. L’utilisation de ces technologies aurait pu empêcher le second capitaine de s’endormir et donner un avertissement aux autres membres de l’équipage sous le pont. À la suite de l’échouement, et après plusieurs heures de battement de la coque du remorqueur sur le récif, la coque s’est rompue et a libéré du diesel. Bien qu’un barrage antipollution ait été placé autour du remorqueur, une mer agitée a balayé le barrage, répandant le carburant.
Selon le BST, la réaction à l’incident et les efforts d’intervention et de renflouage de la WCMRC et de la Garde côtière canadienne (GCC) ont respecté les délais prescrits.8 Toutefois, certains aspects de l’intervention ont manqué de coordination parce que les intervenants n’étaient pas tous familiers avec le système de commandement des interventions, ce qui a entraîné une certaine confusion quant aux rôles et aux responsabilités de tous les organismes d’intervention et quant à savoir qui avait l’autorité finale, a conclu le BST.9
L’enquête du Conseil tribal Heiltsuk a donné lieu à la création du « comité Daduqvlá », chargé d’examiner ses conclusions.10 Composé d’un groupe de membres estimés des Heiltsuk, ce comité a évalué et jugé le déversement dans le contexte des lois des Heiltsuk. Le rapport d’enquête était particulièrement critique à l’égard d’une question qui est au centre de la relation avec les peuples autochtones : le mépris et le manque de respect des connaissances écologiques et de l’expertise maritime des Heiltsuk.
Le rapport fournit également un aperçu du point de vue des Heiltsuk sur la façon dont les organisations devraient travailler avec les communautés autochtones à l’avenir et révèle la nature litigieuse de l’intervention. Du point de vue des Heiltsuk, le manque de reconnaissance de la gestion de l’environnement par la Nation de la part des intervenants et des propriétaires du remorqueur a contribué à « perpétuer la mentalité et les pratiques coloniales qui ont clairement laissé tomber les peuples Heiltsuk. »11
Pour sa part, la WCMRC était fière de son effort d’intervention avec 70 membres du personnel et 20 navires différents sur place, dont des remorqueurs, des chalands et des navires d’intervention spécialisés. Le BST a noté qu’« elle a aussi affecté des officiers à la sécurité spécialisés en sécurité des interventions en cas de déversement qui ont participé aux évaluations du site, aux réunions de sécurité, à la formation des intervenants, à l’élaboration des plans de santé et sécurité, et à la surveillance de la qualité de l’air sur les lieux. De plus, la WCMRC a permis aux observateurs de la Première Nation Heiltsuk et de différents organismes gouvernementaux de monter à bord de ses navires pendant les opérations de renflouage. »12
Cinq ans plus tard : le système de protection maritime a-t-il changé?
Les accidents maritimes sont souvent causés par de nombreux facteurs; c’est pourquoi le système de protection maritime comporte plusieurs niveaux. La première ligne de défense est la prévention et un élément important du pilier prévention est le pilotage maritime obligatoire dans plusieurs zones côtières du Canada. Un pilote maritime est un marin expérimenté, certifié et réglementé par la Loi sur le pilotage, qui applique des connaissances spécialisées des eaux locales pour diriger le capitaine d’un navire et le faire naviguer dans les ports et les voies navigables en utilisant la route la plus sûre. Bien que transitant dans une zone de pilotage obligatoire au moment du naufrage, le Nathan E. Stewart n’était pas tenu d’avoir un pilote maritime à bord, car l’armateur avait demandé et obtenu une dérogation13 de l’Administration de pilotage du Pacifique (APP) en raison des qualifications et de l’expérience de son équipage.
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Modifications du système de d’exemption de pilotage
À la suite du naufrage, l’APP a révoqué les dérogations accordées à Kirby et a mis à jour les conditions d’octroi de dérogations à d’autres exploitants de remorqueurs et de chalands, en exigeant qu’ils utilisent un système de surveillance de la navigation sur la passerelle et un système d’alarme comme celui qui aurait pu empêcher l’échouement du Nathan E. Stewart. Les conditions exigent également que les navires aient deux personnes sur la passerelle lorsqu’ils naviguent dans des eaux restreintes et qu’ils ne transportent pas, ne poussent pas ou ne remorquent pas de cargaison d’hydrocarbures dans des zones désignées « interdites », y compris les eaux où le Nathan E. Stewart s’est échoué.14
Toutefois, ce système de d’exemption fera l’objet d’une révision en 2022. À l’issue de l’examen de la Loi sur le pilotage lancé par Transports Canada en mai 2017, un projet de loi a été proposé pour centraliser et normaliser l’octroi des exemptions de pilotage – y compris les dérogations actuellement délivrées par l’APP. L’APP procède à une évaluation des risques, car il reste à voir quelle sera l’incidence de ce nouveau régime sur la sécurité. Le règlement révisé complet doit être publié dans la Gazette du Canada en 2022.
La Garde côtière canadienne a apporté des changements importants à son intervention d’urgence
La GCC a tiré une leçon importante du naufrage du Nathan E. Stewart. Roger Girouard, commissaire adjoint de la Garde côtière canadienne, région de l’Ouest, a déclaré : « Comme tous les incidents, l’échouement du Nathan E. Stewart n’aurait jamais dû se produire et les conclusions de l’enquête du Bureau de la sécurité des transports ont apporté des changements importants tant à l’industrie maritime qu’à l’intervention en cas de pollution marine. »
Il affirme que de nombreux changements importants ont été mis en œuvre. « Depuis l’incident, la Garde côtière a parcouru un long chemin : elle a renforcé sa capacité à intervenir en cas d’incidents de pollution marine et à prévenir les déversements. Nous n’avons pas encore terminé, mais il est certain que nous avons fait avancer les choses grâce à des investissements importants dans l’infrastructure dans le cadre du Plan de protection des océans, comme le nouveau dépôt d’intervention maritime présentement en construction à Port Hardy, en Colombie-Britannique, six nouveaux radars pour soutenir un meilleur contrôle de la connaissance de la situation du trafic maritime, un investissement continu dans l’équipement environnemental – plus récemment de grands écrémeurs en mer – et l’ajout de deux navires de remorquage d’urgence sur la côte de la Colombie-Britannique. »
Girouard croit que le fait d’avoir le bon équipement est une partie de l’équation, mais le plus important est l’investissement dans le personnel derrière l’équipement. « Mais les outils ne sont aussi bons que les personnes qui les tiennent et ce sont donc nos investissements dans le personnel qui auront une incidence tout aussi importante sur la sécurité de nos eaux. Nous assurons une formation à l’intervention environnementale et au système de commandement des incidents, et nous nous exerçons ensemble sur l’eau, avec des partenaires autochtones et communautaires sur toute la côte. Nous avons pu constater le succès de ces investissements en personnel et en équipement lors de la récente intervention réussie du MV Schiedyk, l’épave qui laissait échapper du pétrole dans la baie Nootka. »
La Garde côtière auxiliaire des Nations côtières fournit une intervention d’urgence locale
L’une des recommandations des Heiltsuk visant à améliorer les interventions futures a été réalisée en novembre 2020 lorsque la Garde côtière auxiliaire des Premières Nations côtières (GCA-PNC) a commencé ses opérations dans les eaux territoriales des Premières Nations Ahousaht et Heiltsuk, devenant ainsi la première GCA-PNC dirigée par des Autochtones au Canada. D’autres unités d’intervention de la GCA-PNC dans les eaux territoriales des Premières Nations Nisga’a, Gitxaala, Quatsino et Kyuquot/Cheklesahht et de Kitasoo/Xai’xais joueront un rôle clé dans l’intervention advenant un accident maritime susceptible d’entraîner un déversement. La GCA-PNC compte plus de 50 membres ayant chacun été formé pour intervenir en cas d’urgence maritime 24 heures sur 24, 365 jours par année, dans des régions éloignées le long de la côte de la C.-B. Grâce à la collaboration et à l’échange des connaissances, et en partenariat avec la Garde côtière canadienne, les membres de la GCA-PNC opèrent à partir de cinq stations de sauvetage pour offrir des services de recherche et de sauvetage maritimes, promouvoir la sécurité sur l’eau et effectuer des patrouilles de sécurité côtière en tant qu’auxiliaires de la Garde côtière.
La Garde côtière canadienne soutient la GCA-PNC en lui offrant une formation sur les protocoles de recherche et de sauvetage et d’autres formations sur l’eau, ainsi qu’en lui offrant la possibilité d’acheter des navires, de l’équipement spécialisé et des outils de communication dans le cadre de divers projets du Plan de protection des océans, comme le nouveau navire d’intervention spécialisé mis à l’eau par la Première Nation Ahousaht en mai 2021, dans le cadre du Programme pilote de bénévolat des bateaux communautaires autochtones de la GCC.15 Alex Dick, président de la GCA-PNC, a déclaré : « Je reconnais avant tout le rôle essentiel que jouent les Premières Nations en tant que membres de la Garde côtière auxiliaire, en vue de protéger les marins et les collectivités côtières. Les membres de ces collectivités sont tout simplement les gardiens les plus expérimentés du milieu marin, et sont aujourd’hui incontestablement essentiels au système de sécurité maritime du Canada. »
Ces mesures visent à corriger certaines lacunes décrites dans le rapport du BST. « Dans les 48 premières heures de l’intervention lors du déversement, on a constaté que les conducteurs des navires qui ont participé à l’intervention initiale ne possédaient pas l’équipement de sécurité ni de protection contre les matières dangereuses nécessaires (combinaisons, gants, bottes, lunettes de protection ou masques) et qu’ils opéraient souvent seuls. Les navires et les bénévoles des communautés environnantes qui ont participé à l’intervention initiale se sont rendus sur les plages locales et sur le site du déversement indépendamment de la structure de commandement unifié et de ses sections des opérations et de sécurité. Les premiers intervenants qui ne font pas partie de la structure de commandement unifié n’ont généralement pas l’obligation de suivre les directives de la GCC. La GCC ne peut maintenir de zone d’exclusion sur l’eau, ce qui complique le maintien de la sécurité publique. »16
Par conséquent, la GCC a mis en œuvre un processus de formation et de mobilisation des communautés côtières et autochtones qui soulignera les questions de sécurité personnelle, fournira une exposition au système de commandement des incidents et offrira de l’équipement et une formation pour faciliter l’intervention initiale.
Renforcement des capacités locales avec la Nation Heiltsuk
Une autre recommandation importante des Heiltsuk, visant à créer des mesures d’intervention autonomes au niveau local, est en cours de mise en œuvre. La Nation Heiltsuk, en collaboration avec la Garde côtière canadienne et Transports Canada, a signé un protocole d’entente en vue de mettre sur pied une équipe pilote d’intervention d’urgence maritime (EIUM) pour appuyer une intervention communautaire en cas de déversement d’hydrocarbures sur son territoire. Ce projet permettra de tester des concepts et d’alimenter les discussions futures sur la façon d’améliorer le régime national de préparation et d’intervention en cas de déversement d’hydrocarbures du Canada. Si le projet pilote est fructueux, cela signifiera que des ressources locales seront bientôt en place, formées et équipées pour faire face à de futurs incidents.
En vertu de l’entente, un plan de formation sera mis en place pour préparer les intervenants des Heiltsuk aux principales activités d’intervention en cas de déversement, et les membres de l’EIUM perfectionneront leurs compétences au moyen d’exercices intégrant les stratégies d’intervention géographiques des Heiltsuk, ainsi que d’exercices sur l’eau dirigés par la Garde côtière canadienne. Les Heiltsuk ont une connaissance intergénérationnelle des marées, des conditions et des courants complexes de ces eaux et joueront un rôle clé dans toute urgence maritime. Ils ont également cartographié les sites culturels importants et enregistré les endroits où ils récoltent des sources de nourriture comme les mollusques et la végétation.
« Nous avons hâte de mener à bien cette importante initiative qui fera en sorte que les intervenants de notre communauté soient prêts à protéger nos ressources contre la pollution », a déclaré Wígvíɫba-Wákas Harvey Humchitt, chef héréditaire de la Nation Heiltsuk. « La signature de ce protocole d’entente représente un progrès dans notre collaboration avec Transports Canada et la Garde côtière canadienne », a-t-il ajouté. Les Heiltsuk ont établi un partenariat avec Horizon Maritime qui les aidera à mettre sur pied le centre d’intervention. Le centre comptera jusqu’à 37 employés et disposera des navires et de l’équipement nécessaires pour intervenir en cas de déversement en mer en moins de cinq heures, alors que les navires d’intervention ont mis 17 heures à arriver sur les lieux quand le Nathan E. Stewart a coulé. Dans une entrevue accordée au Toronto Star, la chef Slett a déclaré : « Nous sommes des marins, nous vivons sur la côte. Notre communauté a toujours répondu aux navires en détresse. Ce protocole d’entente nous permet de tracer les prochaines étapes de l’expansion des interventions en matière de protection des océans sur le territoire des Heiltsuk. »
Les organismes d’intervention en cas de déversement d’hydrocarbures continuent de renforcer les capacités des communautés côtières
Les organismes d’intervention ont également joué leur rôle. La WCMRC avait travaillé avec les Heiltsuk et d’autres Premières Nations côtières avant le déversement et continue de soutenir le renforcement des capacités des communautés côtières à répondre aux urgences maritimes. « Notre programme d’intervention côtière a été conçu pour faire participer davantage de communautés à la planification et à la formation en matière d’intervention en cas de déversement », a déclaré Michael Lowry, directeur principal des communications à la WCMRC. « Tout comme notre relation avec d’autres Nations côtières qui ont des équipages et des navires, nous espérons travailler avec les Heiltsuk sur la formation et les exercices. »
L’Accord-cadre de réconciliation favorise la collaboration lors d’un incident maritime
En juin 2018, le gouvernement du Canada et 14 Premières Nations se sont officiellement engagés à collaborer pour protéger le milieu marin et améliorer la sécurité maritime sur une vaste zone géographique en signant l’Accord-cadre de réconciliation (ACR) pour la gestion et la protection des océans à l’échelle biorégionale. La Nation Heiltsuk est l’une de celles qui collaborent pour gérer, restaurer et protéger les eaux océaniques de la côte nord du Pacifique. En vertu de cette entente historique, les parties ont lancé des projets de planification des interventions, de gestion proactive des navires et d’amélioration de la connaissance de la situation maritime dans la biorégion du plateau nord (qui comprend la zone où le Nathan E. Stewart a coulé) afin d’améliorer la sécurité maritime et l’environnement marin local. Ils ont également créé une structure de gouvernance comprenant un comité exécutif, des comités directeurs et des groupes de travail techniques. Les comités et les groupes de travail se concentrent sur des projets précis dans la biorégion du plateau continental nord.17
La stratégie du ministère de l’Environnement et du Changement climatique de la Colombie-Britannique est également à la table de planification afin de se préparer à une meilleure intervention en cas de déversement en mer. Selon les Premières Nations côtières, « en plus de fournir un modèle d’intendance collaborative des écosystèmes marins, elle vise également à accroître la sécurité des communautés côtières en améliorant les capacités d’intervention d’urgence grâce au projet pilote de planification des interventions régionales. » Ce projet permettra de trouver des moyens pour les Premières Nations et les gouvernements fédéral et provinciaux de collaborer efficacement en cas de déversement en mer. Ce travail de planification préalable aide à établir des relations et à surmonter les difficultés qui existent en raison de systèmes et d’attentes différents.18
Une voie à suivre?
Le naufrage du Nathan E. Stewart a démontré qu’une série de faux pas de la part d’un équipage fatigué peut avoir des répercussions importantes sur l’environnement et le mode de vie des Premières Nations et des communautés côtières. Ce qui peut sembler être un littoral éloigné et pittoresque, loin de la vue du public, est, selon les mots de la chef Slett, une source de nourriture, un « grenier à blé pour notre peuple » et un élément central de leur mode de vie et de leurs pratiques culturelles. Il a également illustré comment une communauté de peuples autochtones côtiers a sa propre façon d’aborder des problèmes technologiques et environnementaux complexes, surtout lorsqu’il s’agit de protéger la vie marine qui est profondément ancrée dans son identité culturelle et son histoire. Les peuples autochtones ont des traditions maritimes et continueront à jouer un rôle clé dans la sauvegarde de ces ressources. Les Heiltsuk sont toujours en colère contre ce qu’ils considèrent comme un manque d’action de la part du gouvernement et d’autres acteurs pour évaluer et compenser pleinement les répercussions de ce déversement. Ils continuent d’intenter des actions en justice et de demander une évaluation plus approfondie de l’impact environnemental.19
Dans une déclaration faite par la chef Slett à l’occasion du cinquième anniversaire du naufrage, elle a déclaré que « …notre Nation attend toujours la justice environnementale, car nous avons dû recueillir des fonds et mener notre propre étude d’impact environnemental, dont le coût est estimé à plusieurs centaines de milliers de dollars. Bien que le soutien que nous avons reçu du public soit une source d’inspiration, la situation actuelle où le pollueur n’a rien à se reprocher et où nous – les victimes du déversement – devons effectuer l’évaluation environnementale et la restauration qui auraient dû avoir lieu il y a longtemps, soulève de sérieuses questions quant à l’engagement des gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada envers la réconciliation et la protection des océans. »
La Nation Heiltsuk demande également une indemnisation aux gouvernements provincial et fédéral. « La propre loi sur la gestion de l’environnement du gouvernement de la Colombie-Britannique permet au gouvernement de les faire payer, et pourtant la Colombie-Britannique a refusé de le faire, a-t-elle déclaré. Le gouvernement fédéral dispose également d’une Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires (CIDPHN), qui affiche des excédents de près de 410 millions de dollars, et d’un Plan de protection des océans de 1,5 milliard de dollars, et pourtant rien n’a été fait. Comment cela est-il possible? Comment peut-on justifier cela? »
Deux demandes sont devant la Caisse d’indemnisation, qui fonctionne selon le principe du pollueur-payeur et existe pour rembourser les coûts directs de l’intervention en cas de déversement d’hydrocarbures. À la fin de l’année 2021, les deux dossiers restent ouverts.20
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Au-delà et en dehors de ces diverses revendications juridiques, de nombreux intervenants qui participent à l’intervention et au sauvetage en mer – y compris le gouvernement fédéral par l’intermédiaire du Plan de protection des océans et de ses organismes d’exécution comme la Garde côtière canadienne – ont reconnu l’importance de s’engager, de travailler et de communiquer avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Ils prennent également des mesures concrètes, notamment en renforçant la réglementation et en améliorant l’état de préparation, afin d’éviter que cela ne se reproduise. Il est difficile de prédire si un accident comme celui du Nathan E. Stewart peut se reproduire. Mais il est clair que les Heiltsuk ont pris des mesures pour améliorer leur préparation et ont mis en place un plan d’intervention pour s’assurer qu’ils sont prêts si cela se produit. De même, des organismes comme la Garde côtière canadienne et la WCMRC ont tiré des leçons de l’accident pour améliorer leurs propres capacités d’intervention.
Références
1 Une comparaison des principaux déversements d’hydrocarbures en mer au Canada est disponible ici.
2 Santé Canada. Unité de préparation et d’intervention en cas d’urgence chimique. (2018). Guide pour la gestion de la santé publique et environnementale en cas d’incident mettant en cause du pétrole brut. P. 62.
3 La WCMRC a depuis investi dans des ancres plus grandes et plus lourdes et a acheté un plus grand nombre de barrages flottants en haute mer que ce qu’elle possédait auparavant.
4 Conseil tribal Heiltsuk. (2018). To look at our traditional laws. P.11.
5 Bureau de la sécurité des transports du Canada. (2016). Rapport d’enquête maritime M16P0378, section 1.4.1.
6 Bákvlá est un mot Heiltsuk qui signifie « récolter et préparer la nourriture pour l’hiver ». Mais son sens est plus large : il signifie aussi récolter la nourriture de la bonne manière, avec un bon cœur et un bon esprit, en honorant les lois ancestrales Heiltsuk. Plus ici.
7 Conseil tribal Heiltsuk. (2018). To look at our traditional laws. P.11.
8 Pour la région de Bella Bella, la norme pour le délai d’intervention est de 18 heures, plus le temps de déplacement.
9 Bureau de la sécurité des transports du Canada. (2016). Rapport d’enquête maritime M16P0378, section 3.3, paragraphe 2.
10 Le comité comprend un gardien du savoir et un aîné, un représentant du CTH, un jeune pour apporter un équilibre et un membre urbain, conformément à la vision des Heiltsuk selon laquelle tous ne font qu’un. Yílístis Pauline Waterfall, conseillère tribale Heiltsuk et gardienne du savoir, présidente; Yím̓ ás ⅄áλíya̓ sila, Frank Brown, coprésident; Yím̓ ás Q̓ a̓ít; Arnold Humchitt Lanemraeit; Bessie Brown, représentante urbaine; et le conseiller en communication H̓áziɫba Saul Brown.
11 Conseil tribal Heiltsuk. (2018). To look at our traditional laws. P.42.
12 Bureau de la sécurité des transports du Canada. (2016). Rapport d’enquête maritime M16P0378. P.33.
13 L’article 10 du Règlement sur le pilotage dans la région du Pacifique décrit les conditions qui doivent être remplies pour permettre une dispense de pilotage obligatoire pour un navire sujet au pilotage obligatoire.
14 Ces zones sont définies comme suit : Passage Grenville, Passage Princess Royal, Falaise Boat, Défilé Heikish, Détroit Laredo, Passage Principe, Passage Seaforth, Passage Lama et Passage Fitzhugh.
15 Gouvernement du Canada. (2021). Le gouvernement du Canada et la Première Nation Ahousaht partenaires d’un nouveau bateau dédié aux interventions, en vue de renforcer la sécurité maritime en Colombie-Britannique.
16 Bureau de la sécurité des transports du Canada. (2016). Rapport d’enquête maritime M16P0378, section 4.1.2.
17 En savoir plus ici.
18 En savoir plus ici.
19 Un plan complet de technique de nettoyage et d’évaluation du littoral a été mis en place au moment du déversement et les conclusions ont été publiées dans le rapport final du commandement unifié le 21 novembre 2016. En date du 19 novembre, le rapport concluait qu’aucun hydrocarbure n’avait été observé sur la côte où le naufrage s’est produit. Cette conclusion est contestée par les Heiltsuk et leur représentant participant à l’intervention. Ils n’ont pas voulu signer ce rapport car la Nation ne pensait pas que la Technique d’évaluation pour la restauration des rives (TERR) avait été adéquatement suivie.
20 Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires. (2020). Rapport annuel de l’administrateur 2019-2020 – Sommaires d’incidents. P.143-146.
Par Edward Downing, directeur des communications, Clear Seas.