Skip to main content
Article

Le gaz naturel liquéfié comme carburant marin dans l’Arctique:
panacée ou poison?

lecture de 8 minutes
Partager

Clear Seas tient une table ronde pour recueillir les points de vue sur l’utilisation du GNL comme carburant marin dans le Nord canadien.

Un récent atelier virtuel examinant la faisabilité d’une chaîne d’approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL) dans l’Arctique canadien – organisé par le Centre pour le transport maritime responsable Clear Seas – a réuni des intervenants de la patrie inuite, du gouvernement, de l’industrie du transport maritime et d’organisations non gouvernementales environnementales, présentant un tout un éventail d’opinions.

L’événement a été tenu dans le cadre d’une étude actuellement menée par Clear Seas, l’Alliance canadienne pour les véhicules au gaz naturel et Vard Marine, et financée par le Centre d’innovation de Transports Canada, afin d’examiner la faisabilité, les avantages et les risques de l’utilisation du GNL pour remplacer une partie ou la totalité du diesel et du mazout lourd utilisés pour le transport maritime et d’autres besoins dans l’Arctique canadien. Ce changement pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre de jusqu’à 25 % et les autres principaux contaminants atmosphériques, comme les particules et le monoxyde de carbone, de 80 % ou plus.

Dans son mot d’ouverture, Meghan Mathieson, directrice de la stratégie et de l’innovation de Clear Seas et modératrice de l’événement de deux jours, a souligné l’urgence de la conversation et la nécessité de l’étude. « L’Arctique se réchauffe et les choix en matière de carburant ont une incidence », a-t-elle déclaré aux 40 participants et présentateurs venus d’aussi loin que la Nouvelle-Zélande, apportant à la table des points de vue issus de la science occidentale et du savoir traditionnel.

Lisa Koperqualuk, vice-présidente des affaires internationales du Conseil circumpolaire inuit du Canada (CCI), a ouvert le bal en cernant les répercussions potentielles d’une augmentation du trafic maritime, notamment l’augmentation du risque de déversements de carburant, des bruits sous-marins et de l’introduction d’espèces envahissantes par les eaux de ballast des navires.

Elle a souligné que les peuples autochtones doivent être présents à la table lorsque les intervenants du transport maritime international se réunissent pour discuter de questions telles que la décarbonisation et l’augmentation du trafic maritime – en se fondant sur les milliers d’années d’habitation des Inuits dans la région. C’est pourquoi le CCI a demandé et obtenu le statut consultatif provisoire auprès de l’Organisation maritime internationale. Le CCI est la première organisation autochtone à obtenir ce statut et l’a demandé parce qu’il est conscient des menaces que représente le transport maritime international sur le mode de vie des Inuits.

La navigation dans l’Arctique a une influence directe sur le mode de vie des Inuits

Mme Koperqualuk considère l’expansion du transport maritime dans l’Arctique et la continuité du mode de vie des Inuits comme un exercice d’équilibre et a établi deux distinctions importantes dans la discussion. D’une part, elle déclare : « Pour les compagnies maritimes et de croisière, l’ouverture rapide du passage du Nord-Ouest n’est pas une menace; c’est une occasion. L’idée de réduire la durée des voyages entre l’Asie et l’Europe est attrayante, et elle apportera des avantages économiques à ces compagnies. » D’autre part, le mode de vie, la santé et les sources d’alimentation des Inuits dépendent d’un environnement sain. « Comment la navigation dans l’Arctique, en tant qu’infrastructure essentielle, peut-elle soutenir la santé globale de l’Arctique? Les gens, la flore, la faune et l’écosystème? Et comment peut-elle aider la planète? » La recherche d’un carburant marin optimal est un élément essentiel dans cette conversation. Pour les Inuits, « nous sommes un peuple maritime. Nous dépendons de la liberté de mouvement, avant tout pour nous nourrir, car une grande partie de notre alimentation provient de la chasse », a-t-elle déclaré.

Elle a noté que bien que des règlements existent au Canada et dans l’Arctique circumpolaire par l’entremise du Code polaire et, au niveau international, par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), leur application est difficile dans cet espace vaste et éloigné, surtout avec la présence croissante de nouveaux acteurs, attirés par les eaux libres de glace. « La navigation dans l’Inuit Nunangat, la patrie circumpolaire des Inuits, a augmenté de 25 % depuis 2015. Dans l’Inuit Nunavut, ce que nous connaissons tous comme la patrie inuite canadienne, la navigation a augmenté de 37 % entre 2015 et 2019. Ces augmentations nous inquiètent car la majeure partie de la flotte arctique utilise encore du mazout lourd interdit depuis 2011 dans les eaux de l’Antarctique », a-t-elle déclaré.

Elle s’est fait l’écho des préoccupations d’autres intervenants, soulignant que le mazout lourd produit du noir de carbone qui, à son tour, augmente la fonte des glaces lorsqu’il se dépose sur la neige et la glace. « Tous s’accordent à dire que la hausse des températures, qui entraîne une augmentation et de nouvelles formes d’activités maritimes, présente des risques sérieux pour les Inuits et pour l’environnement marin dont nous dépendons pour notre subsistance. »

Le GNL est-il un substitut au mazout lourd?

Mme Koperqualuk affirme que la question centrale qui se pose à sa communauté est la suivante : le GNL est-il un meilleur substitut au mazout lourd? Sa réponse suggère un dilemme auquel est confrontée l’industrie maritime, ainsi que l’Arctique et ses habitants dans leur ensemble : « L’essentiel est que nous voulons que la source de carburant la plus sûre, la plus propre et la moins dommageable soit utilisée dans l’Arctique. Cela inclut les répercussions directes comme les déversements et le carbone noir, ainsi que les répercussions globales comme les émissions de méthane. Mais le carburant est nécessaire pour obtenir les biens dont nous avons besoin et pour nous relier au reste du pays. La position du CCI est que les gouvernements doivent soutenir une flotte de transport maritime sécuritaire dans l’Arctique et favoriser la transition vers des carburants propres et plus sûrs », dit-elle.

Les navires dans l’Arctique ont une incidence au-delà de l’eau

Les présentateurs de tous horizons se sont tous entendus sur une chose : le transport maritime dans l’Arctique canadien a connu des changements dramatiques au cours des dernières décennies. En effet, la distance parcourue par les navires a presque triplé entre 1990 et 2015. Nicolien van Luijk, P.h. D., de l’Université d’Ottawa, qui a étudié les répercussions sanitaires et environnementales de la navigation dans l’Arctique, a noté qu’il y a également eu une forte augmentation des différents types de navires. « Par exemple, les bateaux de plaisance étaient assez rares dans les années 1990, mais en 2011, la distance totale parcourue a été multipliée par plus de 20. Et il y a quelques autres types de navires, comme les vraquiers et les navires de passagers, qui ont également connu des augmentations. »

Mme van Luijk a fait écho à l’opinion de Mme Koperqualuk selon laquelle, bien qu’il y ait encore un nombre relativement faible de navires dans la région, « …une fois que nous parlons des répercussions potentielles du transport maritime sur les communautés, vous commencez à comprendre que même un seul navire peut avoir une incidence significative sur les moyens de subsistance des Inuits et des communautés locales. C’est pourquoi il est important de ne pas sous-estimer les répercussions potentielles que les navires peuvent avoir sur les communautés. »

Les résidents ont soulevé des préoccupations liées à l’incidence de la navigation maritime sur les activités de pêche, qui sont essentielles à la préservation de leurs moyens de subsistance. Si la pollution et le rejet de déchets constituent une préoccupation évidente, le bruit des brise-glaces et la perturbation du sillage ont une incidence sur la récolte, touchant aussi bien les animaux que les pêcheurs, et peuvent également influencer la migration et provoquer l’amincissement de certaines populations d’espèces sauvages. « Tous ces problèmes combinés peuvent ensuite avoir une incidence sur la sécurité alimentaire, la santé et le bien-être, la sécurité économique et la culture des communautés nordiques pour la chasse et la pêche, qui font partie intégrante de leurs moyens de subsistance », dit-elle.

Jacqueline Kidd, de l’Inuit Tapiriit Kanatami, anciennement connu sous le nom d’Inuit Tapirisat du Canada, qui représente plus de 65 000 Inuits dans l’Inuit Nunangat et dans le reste du Canada, était également présente. Leur mission est de « servir de voix nationale pour protéger et faire avancer les droits et les intérêts des Inuits au Canada ».

Production d’un rapport final

L’atelier a donné lieu à près de neuf heures de discussion et a permis d’entendre et de recueillir des commentaires importants qui permettront aux auteurs de l’étude de travailler à la rédaction d’un rapport final qui devrait être complété à la mi-2022. Il s’agit notamment de poursuivre la mise en place d’une série de groupes de travail pour une mobilisation soutenue. Dans ses dernières remarques, Paul Blomerus, le directeur général de Clear Seas, a déclaré que « Clear Seas et ses partenaires ont hâte de produire un rapport qui représente toutes les contributions reçues. Merci à tous pour votre discussion, votre attention et votre aide ».

À propos de l’atelier

L’atelier, animé par un groupe d’experts issus de diverses organisations et expériences, a permis aux participants d’en apprendre plus sur l’état actuel du transport maritime dans l’Arctique, d’explorer les possibilités relatives à une interdiction d’utilisation du mazout lourd dans l’Arctique et de mieux comprendre les risques et les bénéfices potentiels de l’utilisation du GNL dans cette région. Un aperçu du travail complété jusqu’à maintenant dans le cadre de l’étude de faisabilité a également été fourni aux participants et ces derniers ont eu l’occasion d’exprimer leurs préoccupations et de partager leurs connaissances sur le sujet.

Pour en savoir plus sur l’atelier, pour visionner l’enregistrement ou pour télécharger les présentations, visitez la page du projet ici.

 

 

Publié | Modifié le