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De la carte papier à l’ECDIS : un voyage à travers l’évolution de la navigation maritime

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Dans cet article, nous examinons quelques-unes des principales avancées réalisées depuis l’époque des cartes papier et des sextants, qui permettent aux navires modernes d’éviter les accidents catastrophiques.

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L’officier de quart sur la passerelle d’un cargo ou d’un navire de croisière moderne est responsable de la sécurité de la navigation de ces géants des mers. Ces personnes s’appuient sur un ensemble de technologies de navigation pour trouver leur chemin en toute sécurité et éviter les collisions avec d’autres navires ou des obstacles naturels. Comment la technologie de la navigation a-t-elle évolué au cours des 50 dernières années ?

Naviguer à bon port il y a plus de 50 ans

Dès les années 1960 et 1970, les navires disposaient déjà d’une impressionnante technologie moderne. La précision et la fiabilité croissantes des gyrocompas avaient rendu obsolètes les compas magnétiques sujets aux erreurs, sauf en tant que solution de secours. Les gyrocompas utilisent un gyroscope à rotation rapide pour détecter la rotation de la Terre et pointer vers le centre de rotation au pôle Nord.

L’utilisation généralisée du radar à bord des navires, développé à l’origine pour des applications militaires, a commencé à trouver des applications dans la flotte civile à partir des années 1940. Il s’agissait d’une avancée majeure permettant aux officiers de bord de voir efficacement dans l’obscurité ou même dans un brouillard épais ou des nuages bas. Plus tard, l’aide au pointage radar électronique a été ajoutée pour faciliter la compréhension lors de situations de trafic complexes en gardant la trace des objets détectés par le radar.

La radio VHF a été largement adoptée et a permis la communication vocale entre navires et entre les navires et la terre ferme, remplaçant ainsi les drapeaux de signalisation et le sémaphore. La radiogoniométrie est utilisée pour déterminer la position du navire. Les systèmes de radiogoniométrie hyperbolique tels que LORAN-A et DECCA étaient considérés comme à la fine pointe en matière de technologie de navigation. En triangulant le relèvement d’émetteurs de signaux radio situés à des endroits connus, le navigateur était en mesure d’établir l’emplacement du navire avec une précision d’environ 1 mille nautique, même en haute mer.

Ces aides à la radiofixation simplifiaient le problème du navigateur, qui devait déterminer la distance qui le séparait de la terre, mais n’apportaient pas grand-chose à la précision du pilotage côtier. Des pilotes locaux compétents, capables de diriger le navire à partir de repères visuels et connaissant les courants et les dangers locaux, restaient essentiels à la sécurité de la navigation.

Des catastrophes environnementales qui apportent une sécurité renforcée

Les années 1970 et 1980 ont été marquées par une évolution rapide de la technologie des navires et des installations à terre. Un certain nombre de naufrages et de déversements d’hydrocarbures très médiatisés et très dommageables ont attiré l’attention du monde entier sur les conséquences environnementales des accidents de navigation. Parmi ces incidents, notons l’échouement du SS Torrey Canyon en 1967 et le déversement de plus de 100 millions de litres d’hydrocarbures sur la côte sud du Royaume-Uni, ainsi que le déversement de 256 millions de litres d’hydrocarbures par l’Amoco Cadiz en 1978 sur les plages de Bretagne. Au Canada, les naufrages et déversements du SS Arrow (1970, 10 millions de litres) et du SS Kurdistan (1979, 6 millions de litres) ont attiré l’attention sur les risques liés à la navigation dans la baie de Chedabucto et le détroit de Cabot.

En réponse, des dispositifs de séparation du trafic (DST) ont été mis en place dès 1967 dans le pas de Calais (obligatoire en 1971) et s’étendent désormais à toutes les zones de confluence du trafic maritime majeur. Les DST, comme leur nom l’indique, créent un système de voies de circulation séparées à sens unique. Les routes sont établies par la convention de l’OMI sur le règlement international pour prévenir les abordages en mer (RIPAM ou COLREG en anglais) et mises en œuvre par la réglementation nationale. Elles contribuent à rationaliser le flux du trafic, à réduire les croisements et les situations de rencontre frontale, réduisant ainsi de manière significative le risque de collision. La valeur des DST continue d’être reconnue, de nouvelles étant ajoutées chaque année à la liste approuvée par l’OMI. L’OMI a établi le DST dans le détroit de Juan de Fuca en 1981 et le Canada dispose désormais de 5 systèmes de routage obligatoires et de 7 systèmes recommandés.1

Parallèlement aux DST, des services de trafic maritime (STM) ont été mis en place pour superviser les mouvements des navires. Ce système a été mis en place à Liverpool et à Rotterdam en 1949 et 1956 respectivement, puis dans le très fréquenté Pas de Calais en 1973. Au départ, les STM étaient assez rudimentaires, comprenant une surveillance radar manuelle et des points d’appel radio pour l’autodéclaration des navires.

Récemment, les STM ont été améliorés par un suivi numérique des navires et des algorithmes sophistiqués pour mettre en évidence les risques de collision et d’échouement. Les opérateurs formés des STM contribuent à la sécurité de la navigation en alertant les navires des dangers et en assurant une interface essentielle avec les services de recherche et de sauvetage, les services de lutte contre la pollution et les autres organismes d’intervention maritime.

De la précision militaire à la navigation civile

Les années 1970 et 1980 ont également été marquées par des changements technologiques révolutionnaires à bord du navire, à commencer par le développement des systèmes de navigation par satellite dans les années 1970.

Le système de navigation TRANSIT de la marine américaine, qui détermine les positions terrestres par fixation croisée obtenue à partir des décalages doppler radio, a été mis à la disposition des civils, puis remplacé dans les années 1980 par le système de positionnement global (GPS), plus précis, qui détermine la distance par des décalages temporels précis. En 2000, tous les utilisateurs ont eu accès au service le plus précis lorsque les autorités militaires ont désactivé un système qu’elles utilisaient pour dégrader la précision pour les utilisateurs civils, appelé « disponibilité sélective ».

L’amélioration de la précision a entraîné l’explosion des systèmes d’information géographique (SIG) et des applications géoréférencées dans tous les aspects de la vie civile. Les systèmes de navigation modernes ont désormais accès simultanément aux constellations de satellites américains, européens, russes et chinois2, ce qui leur permet un positionnement précis à moins d’un mètre près. La constellation combinée de technologies a été désignée par l’acronyme GNSS (Géolocalisation et Navigation par un Système de Satellites).

Ces degrés élevés de précision de navigation fournis par le GNSS ont été complétés par la numérisation des cartes papier grâce aux cartes marines électroniques (ENC). Cette combinaison permet aux marins de déterminer et voir avec précision leur position dans l’espace sur la carte grâce à un système électronique de visualisation des cartes marines (SEVCM ou ECDIS en anglais). Il en résulte une navigation électronique très précise et entièrement automatique, à la fois pour le commerce et les loisirs.

L’AIS, bouclier invisible contre les collisions

Les navires devaient encore se fier au radar, aux communications radio ou aux observations visuelles pour détecter d’autres navires jusqu’à l’avènement des systèmes d’identification automatique (AIS). L’AIS est un système de transmissions radio VHF automatisées qui permet aux navires d’échanger des données d’identification et de navigation essentielles, telles que le nom du navire, le numéro OMI, le type de navire, la destination, l’activité/le statut (en route, au mouillage, en train de pêcher, etc.), la position, le cap et la vitesse.

Les informations sont affichées sur le système de navigation du navire (radar ou SEVCM) sous la forme d’une symbologie avec des marqueurs pour indiquer le mouvement réel et relatif. De cette manière, le navigateur peut établir une corrélation entre les navires et les contacts radar, et les identifier immédiatement pour les communications radio de pont à pont afin d’éviter les collisions.
Cette même technologie a également contribué à la sécurité maritime grâce à l’utilisation d’aides virtuelles à la navigation (V-AtoN) pour mettre en évidence les dangers pour la navigation ou les zones d’exclusion temporaires. Il s’agit d’avertissements ou de dangers pour la navigation transmis aux radars ou systèmes électroniques de visualisation des cartes marines des navires sous forme de symbologie, indiquant les contacts apparents grâce à la technologie AIS sans qu’il soit nécessaire de recourir à un objet physique tel qu’une bouée.

Pilotes automatiques et connectivité par satellite

Le recoupement des informations radar et géographiques sur les radars et SEVCM, combiné à l’AIS, permet aux navigateurs d’évaluer les risques et de prendre des décisions sur la base d’informations précises et complètes, même dans des conditions de faible visibilité. Il est même possible pour les navires de suivre des trajectoires planifiées grâce à l’utilisation de pilotes automatiques. Ces pilotes automatiques peuvent fonctionner selon trois modes : maintien de la trajectoire, suivi de la trajectoire et suivi de la route.

La plupart des navires utilisent le premier mode, la personne de quart à la passerelle effectuant les réglages nécessaires au suivi de la trajectoire, tout en restant consciente de l’orientation et de la dérive du navire. Dans les situations critiques ou de trafic complexe, et par mer forte, les navires reviennent à la barre à main pour un meilleur contrôle et une réponse plus rapide.

Les technologies de communication ont également progressé de manière significative au cours des dernières décennies du 20e siècle. La prévalence croissante de l’accès aux données par téléphone mobile a permis l’acquisition en temps réel de données sur la météo, le vent, la bathymétrie, le niveau de l’eau et l’espace aérien par le biais de réseaux localisés. La communication par satellite a initialement ouvert la voie à la communication vocale, même en dehors de la portée de la radio VHF. La communication par satellite est de plus en plus utilisée pour les données. Grâce à la technologie des satellites en orbite basse (par exemple Starlink, Telesat ou Iridum), l’internet par satellite à moindre coût permet aux navires modernes d’accéder à des sources de données en temps réel sur de grandes distances, sous réserve de la couverture satellite et de l’abonnement au service.

Des normes toujours plus élevées

Les équipements de navigation de base dans les navires de haute mer varient en fonction de la jauge brute. Le tableau ci-dessous résume l’équipement de navigation requis conformément au Règlement sur la sécurité de la navigation (RSN) 2020 du Canada, qui reflète les exigences du chapitre V de la Convention SOLAS de l’OMI.

Équipement obligatoire selon la jauge brute< 150 GT150 GT+300 GT+500 GT+3 000
GT+
10 000
GT+
50 000
GT+
Compas-étalon magnétiquexxxxxxx
Gyrocompas xxxxxx
Récepteur GNSS xxxxxx
Taximètre/Pelorus xxxxxx
Compas magnétique de rechange xxxxxx
Fanal de signalisation de jour xxxxxx
Matériel de sondage par écho  xxxxx
Radar à 9 GHz  xxxxx
Appareil de mesure de la vitesse et de la distance  xxxxx
Aide de pointage électronique/ARPA  xxxxx
Aide de poursuite automatique   xxxx
Radar supplémentaire (3 ou 9 GHz)    xxx
Pilote automatique     xx
Indicateur du taux de giration      x
Enregistreur des données du voyage (VDR)   Passagersxxx
ECDIS   Passagersxxx
AISNote 1Xxxxxx
Communication bidirectionnelle (radio)  xxxxx
Cartes et publications amendéesNote 2Xxxxxx
Notes1Navires de plus de 20 m autres que les bateaux de plaisance, les bateaux de plus de 50 passagers, les remorqueurs de plus de 8 m et les bateaux transportant des cargaisons dangereuses.
2Tous les navires, mais les navires <100GT peuvent être exemptés si le capitaine a des connaissances locales ; il peut s’agir d’une CEN.
Résumé des équipements de navigation (Source: NSR 2020)

Bien que l’ensemble des technologies standard varie en fonction de la jauge du navire, les technologies courantes, même pour les petits navires (GPS, SEVCM, radars ARPA, AIS, pilote automatique, communications par satellite et connectivité internet) constituent une avancée très importante par rapport au milieu des années 60. À l’époque, même les grands navires modernes naviguaient grâce à des cartes papier, des aides à la navigation radio rudimentaires, un système d’évitement des collisions tracé à la main et des radars simples.

De la navigation papier aux tablettes connectées: une transformation historique du pilotage
La tendance à la numérisation et à la technologie connectée observée sur les navires se reflète également dans la technologie déployée par les pilotes qui montent à bord des navires pour les guider en toute sécurité dans les eaux complexes à proximité des ports.

Les unités de pilotage portables (PPU) sont des tablettes électroniques personnelles portées par le pilote, qui remplacent les manuels de navigation détaillés que les pilotes portaient sur eux dans les années 1960 et 1970. Les PPU offrent au pilote maritime une source fiable, précise et indépendante d’informations sur la navigation.
Avant l’introduction des PPU, les pilotes dépendaient de l’équipement du navire (gyroscopes, radars, échosondeurs, cartes papier, etc.), complété par une navigation visuelle rendue possible par la mémorisation des caps, des marques d’orientation, des relèvements de dégagement et d’autres méthodes de pilotage traditionnelles.

Le principal avantage des PPU est que le pilote dispose d’informations de positionnement et de navigation très précises qui lui permettent de naviguer avec exactitude, indépendamment de toute défaillance des systèmes installés sur le navire. Grâce à une connexion de données par téléphone cellulaire ou Wi-Fi, il est désormais possible d’intégrer des flux en direct d’informations hydrographiques locales, telles que les niveaux d’eau.

Naviguer en toute sécurité vers l’avenir

Le bilan de sécurité du transport maritime international s’est considérablement amélioré depuis le début du vingtième siècle, époque à laquelle la flotte mondiale perdait un navire sur cent à cause d’un naufrage, selon les données recueillies par Lloyd’s Register. Aujourd’hui, ces accidents sont extrêmement rares, avec seulement 38 navires perdus en 2022 sur une flotte mondiale de plus de 130 0003. La technologie a joué un rôle majeur dans cette amélioration.

Depuis l’ère des cartes papier et des sextants, les technologies de navigation ont connu une transformation remarquable. Les systèmes de navigation par satellite, les radars sophistiqués, les cartes électroniques et les communications en temps réel ne sont que quelques exemples des innovations qui ont révolutionné la façon dont les navires naviguent en mer.

Ces progrès technologiques ont non seulement amélioré la sécurité de la navigation, mais ont également optimisé l’efficacité des opérations maritimes. Les navires peuvent désormais naviguer sur des routes plus précises, réduisant ainsi la consommation de carburant et les émissions. Les systèmes de gestion du trafic maritime et les technologies de suivi des navires permettent une meilleure coordination et une meilleure visibilité des mouvements, réduisant ainsi les risques de collision.

Alors que nous nous tournons vers l’avenir, l’horizon de la technologie de navigation s’annonce encore plus prometteur. L’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique et la réalité augmentée ont le potentiel de transformer encore plus la navigation maritime, en la rendant encore plus sûre, plus efficace et plus durable.

Cet article est issu du projet de recherche sur les implications des technologies pour le pilotage des navires de Clear Seas. Visitez la page du projet pour en apprendre plus.

À propos de l’auteur

Contre-amiral de la Marine royale canadienne Nigel Greenwood (retraité), FRIN, FNI, est titulaire d’un baccalauréat en physique et en océanographie, ainsi que d’une maîtrise en études internationales. Il est un vétéran de la marine et un capitaine de navire qualifié, qui garde une expérience de la mer grâce à un emploi saisonnier en tant que navigateur sur glace dans l’Arctique canadien, et en tant que marin local pour les petites embarcations. Son cabinet de conseil, Greenwood Maritime Solutions Ltd (GMSL), est spécialisé dans l’évaluation des menaces et des risques, la recherche opérationnelle et les études opérationnelles maritimes. GMSL a déjà réalisé des études et des évaluations opérationnelles pour l’Administration de pilotage du Pacifique, le Service hydrographique du Canada, Transports Canada, Recherche et développement pour la défense Canada, le ministère des Transports et de l’Infrastructure de la Colombie-Britannique (Direction des routes) et les autorités portuaires de Prince Rupert et de Vancouver. 

  1. Garde Côtière Canadienne, Avis aux navigateurs 1 à 46, Édition annuelle 2024 ↩︎
  2. Ces systèmes de l’Union européenne, de l’Union soviétique ou de Russie et de la République populaire de Chine sont connus respectivement sous les noms de Galileo, GLONASS et BeiDou. ↩︎
  3. Allianz Global, Safety and Shipping Review 2023 ↩︎
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