Skip to main content
Article

En eaux troubles : Cartographie du processus de prévention de la pollution par les épaves au Canada

lecture de 9 minutes
Partager

Les épaves, une fois perdues, sont souvent oubliées, jusqu’à ce que le pétrole remontant à la surface de l’océan nous rappelle la menace qui les guette.

Dans cet article, vous apprendrez : 

  • Pourquoi certaines épaves représentent un risque élevé de pollution ; 
  • Comment les épaves potentiellement polluantes sont identifiées ; 
  • Où se trouvent ces épaves ; 
  • Ce qui est fait à propos des épaves potentiellement polluantes en eaux canadiennes. 

Dans le cadre des efforts déployés à l’échelle mondiale pour prévenir les dommages causés au milieu marin et à ceux qui en dépendent, il convient de déterminer où se trouvent les quelque 3 millions de navires coulés et abandonnés1, s’ils contiennent des hydrocarbures et comment éviter d’éventuelles marées noires.  

Pour comprendre cette menace dans les eaux canadiennes, le personnel de la Garde côtière canadienne a évalué les épaves en fonction du risque de pollution qu’elles représentent. Bien que cet effort initial ait permis d’identifier l’emplacement probable et l’état des épaves, un balayage détaillé et une étude approfondie de chaque épave seraient nécessaires pour savoir si elle contient des hydrocarbures ou d’autres substances dangereuses et pour savoir comment s’en occuper.

Les épaves représentent-elles toutes une menace ? 

À l’origine, les navires étaient propulsés par le vent ou par l’énergie humaine. Au début du 20e siècle, le pétrole est devenu le combustible de prédilection des navires.2 Lorsque des navires transportant du pétrole comme carburant ou comme cargaison coulent, le pétrole peut rester piégé, menaçant ainsi de futures marées noires.

Outre les hydrocarbures piégés dans des cales ou des réservoirs intacts à bord d’un navire coulé, les épaves peuvent contenir des graisses, des peintures toxiques et des plastiques.3 Dans certains cas, des cargaisons telles que des produits chimiques ou des munitions non explosées4 peuvent également se trouver à bord. Toutes les épaves ne sont pas potentiellement polluantes, mais la détermination de l’emplacement et de l’état des navires qui constituent une menace est une étape importante pour comprendre l’ampleur du problème.

Pourquoi se préoccuper des épaves maintenant ? 

Pendant une grande partie de l’histoire maritime, lorsqu’un navire coulait, il disparaissait — sauf s’il représentait une « menace immédiate de pollution » ou s’il « entravait la navigation ».5 Bien que des opérations de sauvetage et des efforts pour récupérer les hydrocarbures ou la cargaison aient pu être tentés, ces actions n’étaient pas obligatoires si l’épave ne fuyait pas.  

Avant 2019 et l’introduction de la Loi sur les épaves et les bâtiments abandonnés ou dangereux, il n’était pas illégal d’abandonner un navire dans les eaux canadiennes. Par conséquent, si un navire ne fuyait pas activement les hydrocarbures, le propriétaire n’était pas légalement tenu de s’occuper de l’épave, même si la présence d’hydrocarbures ou de cargaisons dangereuses à bord constituait une menace future pour l’environnement.  

Les eaux canadiennes comptent leur lot d’épaves oubliées depuis longtemps et potentiellement polluantes. Le MV Schiedyk et l’USAT General Zalinski en Colombie-Britannique, le SS Arrow en Nouvelle-Écosse et le Manolis L à Terre-Neuve-et-Labrador ont tous fait les manchettes. Lorsque des nappes sont mystérieusement apparues à la surface, la Garde côtière canadienne a épongé les fuites de pétrole actives et retiré le reste du pétrole de l’épave. Ces mesures d’urgence ont été très coûteuses.  

En outre, le temps nécessaire pour remonter à la source du déversement dans certains de ces cas — initialement considérés comme des déversements provenant de navires de passage — a prolongé l’effort de nettoyage. 

Gérer les épaves polluantes nécessite des compétences et des technologies spécialisées ainsi qu’un grand nombre de personnes. Les recherches dans ce domaine ont montré que les opérations proactives coûtent beaucoup moins cher que les interventions d’urgence.6 Bien qu’une approche proactive puisse sembler la solution la plus évidente, le Canada n’a jusqu’à présent traité les épaves qu’une fois qu’elles commençaient à fuir. 

Traiter une épave, qu’elle soit activement polluante ou non, est une entreprise complexe. La vie humaine et l’environnement sont exposés à des risques, qu’il s’agisse d’une intervention proactive ou d’une intervention d’urgence. Les épaves pouvant être situées en position précaire sur le fond marin et dans un état avancé de détérioration, l’un des risques est que les travaux de récupération endommagent l’épave de manière catastrophique, entraînant un déversement soudain d’hydrocarbures au lieu de leur récupération envisagée.

Lors de la planification d’une intervention sur une épave, la quantité d’hydrocarbures à bord est estimée sur la base d’informations souvent fragmentaires. Paul Barrett, directeur régional des opérations pour la région Ouest de la Garde côtière canadienne et auteur d’une thèse fournissant un cadre d’évaluation des risques pour les épaves potentiellement polluantes dans les eaux canadiennes, a noté que certaines opérations proactives entreprises dans d’autres pays n’ont récupéré que peu ou pas d’hydrocarbures, entraînant des coûts considérables pour aucun bénéfice tangible. Tout plan de réaction proactive à un naufrage doit peser les avantages environnementaux escomptés et les coûts financiers prévus, qui peuvent tous deux changer une fois l’opération en cours. 

Comment les épaves potentiellement polluantes sont-elles identifiées ? 

Une enquête internationale menée en 2005 par un groupe de chercheurs a commencé à quantifier la question des épaves potentiellement polluantes. Ils ont trouvé 8 000 navires coulés contenant, aux alentours de 2 à 20 millions de tonnes d’hydrocarbures.7 À la suite de ces découvertes, de nombreux pays, dont les États-Unis, l’Union européenne, la Suède, la Norvège, le Royaume-Uni et un groupe multinational dans le Pacifique Sud, ont procédé à leurs propres évaluations pour comprendre le risque de déversement des épaves dans leur région. Aux États-Unis, la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) a réalisé en 2013 une évaluation des risques liés aux quelque 20 000 épaves coulées dans les eaux américaines. La base de données RULET qui en a résulté a été utilisée pour évaluer 87 épaves et en identifier 36 qui présentaient le plus grand risque de pollution. 

Le Canada a également commencé à travailler pour mieux comprendre ce qui se trouve sous nos eaux, en commençant par les recherches de Paul Barrett. Barrett a développé une méthodologie pour évaluer le risque des épaves au Canada. Cette méthodologie a été appliquée pour identifier, localiser et classer les épaves dans la mesure du possible en utilisant les archives publiques. Au sein de la Garde côtière canadienne, les résultats de cet effort initial de cartographie des épaves ont permis d’élaborer une stratégie relative aux épaves potentiellement polluantes. 

La localisation et le classement des risques pour chaque épave sont indiqués sur les cartes des figures 1, 2 et 3. La localisation et le classement des risques ne sont qu’une première estimation. Dans de nombreux cas, l’emplacement exact de l’épave et la quantité d’hydrocarbures ou d’autres matières dangereuses à bord doivent encore être vérifiés. 

D’où viennent toutes ces épaves? 

Il y a 80 ans, la Seconde Guerre mondiale « a été le théâtre des pertes les plus importantes jamais enregistrées dans le domaine du transport maritime : plus des trois quarts des épaves contenant du pétrole autour du globe datent des six années de cette guerre ».8 De nombreux navires ont coulé dans les eaux canadiennes pendant la guerre et, depuis qu’ils reposent au fond de l’océan, leur coque rouille lentement. La vitesse de corrosion varie en fonction des conditions environnementales, mais les experts estiment que nous approchons du « pic de fuite », c’est-à-dire d’une période au cours de laquelle la coque de nombreux navires cédera, soit à cause d’une fuite lente et progressive du pétrole de leurs réservoirs, soit à cause d’une rupture catastrophique qui déversera tout le pétrole d’un seul coup.9 Comme on l’a déjà constaté dans les eaux canadiennes, les fuites d’hydrocarbures provenant d’épaves constituent un risque important et devraient devenir de plus en plus fréquentes. 

On trouve également dans les profondeurs des navires datant de l’après-guerre. Certains navires modernes perdus, comme le traversier Queen of the North, ont fait l’objet d’une étude, et le risque de les déplacer présente un plus grand potentiel de dommages environnementaux que de les laisser tels quels.10 Certains navires que l’on pensait à un endroit n’ont pas été retrouvés, après une étude détaillée. D’autres navires doivent encore être localisés et étudiés.  

Que fait-on pour réduire le risque d’épaves potentiellement polluantes? 

Si les accidents en mer entraînant des naufrages se produisent encore, l’amélioration des prévisions météorologiques et les nouvelles technologies telles que les radars, les systèmes d’identification automatique et les systèmes de positionnement global ont permis de réduire la fréquence des naufrages. En 2022, seuls 38 navires ont coulé dans le monde.11 

Paul Barrett a fait remarquer que les épaves potentiellement polluantes ne sont pas seulement un problème canadien ; les pays du monde entier sont confrontés à l’ampleur du nettoyage nécessaire. À l’international, la Convention internationale de Nairobi sur l’enlèvement des épaves (2007) a fourni aux pays un cadre juridique uniforme pour traiter les épaves qui « risquent de compromettre la sécurité des personnes, des biens et des marchandises en mer, ainsi que le milieu marin ».12  

La Garde côtière canadienne a entrepris deux missions d’étude visuelle d’épaves connues dans la région Pacifique du Canada. L’une d’entre elles a eu lieu au large de l’île de Vancouver en 202213, dans le cadre d’une collaboration entre la Marine royale canadienne et la Garde côtière canadienne, en utilisant un sonar pour scanner le fond marin et des plongeurs pour examiner les épaves. D’autres explorations pourraient avoir lieu ultérieurement lorsque l’occasion se présentera. 

Le Canada a également amélioré sa législation et son cadre pour que les exploitants de navires assument leurs responsabilités en cas d’accident. Le Canada applique le principe du pollueur-payeur, ce qui signifie que les coûts associés au nettoyage d’un déversement incombent aux responsables et non au public. La Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires prévoit une indemnisation lorsque le pollueur ne peut pas assumer les frais, y compris les coûts de nettoyage dans les eaux canadiennes. Malheureusement, la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires ne peut pas être utilisée pour les épaves coulées avant 2019, date d’entrée en vigueur de la Loi sur les épaves et les bâtiments abandonnés ou dangereux. 

Quel avenir pour les épaves en eaux canadiennes ? 

Bien qu’aucun nettoyage proactif des épaves n’ait encore eu lieu au Canada, la base de données des épaves dans les eaux canadiennes, classées en fonction du risque estimé, et la stratégie relative aux épaves potentiellement polluantes qui en découle constituent un point de départ. Le Canada possède le plus long littoral de tous les pays du monde, avec plus de 7,1 millions de kilomètres carrés de territoire océanique.14

Localiser et traiter toutes les épaves potentiellement polluantes n’est pas une mince affaire et représente une charge financière considérable. Cependant, attendre qu’une intervention d’urgence soit nécessaire augmente le coût de la dépollution et nuit à l’environnement.

En s’attaquant à ces “bombes à retardement” de manière proactive et appropriée, le Canada a la possibilité de réduire les coûts associés aux interventions d’urgence en cas de déversement, de prévenir les dommages environnementaux et de protéger ses écosystèmes marins sensibles.

  1. Marine pollution from sunken vessels. (2023). Union Internationale pour la Conservation de la Nature. ↩︎
  2. History and Transition of Marine Fuel. (2021). MOL Mitsui O.S.K. Lines Service Site. ↩︎
  3. Whose Boat Is It Anyway? The Pitfalls And Jurisdictional Complications Of The Canadian Problem Boat Regime. (2022). L’Association du Barreau canadien. ↩︎
  4. Marine pollution from sunken vessels. (2023). Union Internationale pour la Conservation de la Nature. ↩︎
  5. Potentially Polluting Wrecks in U.S. Waters. (2023). National Oceanic & Atmospheric Administration National Marine Sanctuaries. ↩︎
  6. Barrett, P. 2021. “Development and application of a risk assessment framework for potentially polluting wrecks in Canadian waters.” Dissertation project proposal submitted to MLA College in partial fulfilment of the requirements for the degree of B.Sc. (Hons) Sustainable Maritime Operations. ↩︎
  7. Barrett, P. 2021. “Development and application of a risk assessment framework for potentially polluting wrecks in Canadian waters.” Dissertation project proposal submitted to MLA College in partial fulfilment of the requirements for the degree of B.Sc. (Hons) Sustainable Maritime Operations. ↩︎
  8. Why wartime wrecks are slicking time bombs. (2010). New Scientist. ↩︎
  9. Why wartime wrecks are slicking time bombs. (2010). New Scientist. ↩︎
  10. Queen of the North to stay sunk. (2007). The Globe and Mail. ↩︎
  11. Facts + Statistics: Marine Accidents. (2023). Insurance Information Institute. ↩︎
  12. Nairobi International Convention on the Removal of Wrecks. (2019). International Maritime Organization. ↩︎
  13. HMCS Yellowknife supports Canadian Coast Guard in wreck survey. (2022). Lookout Production. ↩︎
  14. Canada’s oceans estate: A description of Canada’s maritime Zones. (2007). DFO/2007-1199, ISBN 978-0-662-45436-6 ↩︎
Publié | Modifié le