La Station de recherche en acoustique marine (MARS) mesure la signature sonore des navires qui transitent sur le fleuve Saint-Laurent afin d’aider à atténuer les bruits sous-marins et leurs incidences sur les mammifères marins.
Sylvain Lafrance est actif dans le secteur maritime depuis plus de 30 ans. Il a d’abord travaillé pendant quelques années comme chercheur dans le domaine des pêches, notamment en Afrique de l’Ouest. Depuis vingt-cinq ans, il agit comme directeur d’organisations impliquées à la fois dans le développement économique et la recherche appliquée. M. Lafrance est détenteur d’un baccalauréat en sciences et d’une maîtrise en gestion des ressources maritimes, et il est le directeur général d’Innovation maritime depuis 2013.
Basé à Rimouski et actif depuis 2001, Innovation maritime – un centre de recherche appliquée affilié à l’Institut maritime du Québec (IMQ) – a pour mission de contribuer au développement du secteur maritime par le biais de l’innovation. Ses champs d’intervention sont le génie maritime, les technologies environnementales, l’intelligence maritime, le transport et la navigation maritime, et les interventions sous-marines. Une trentaine de personnes y sont actives en recherche appliquée.
Entrevue
Qu’est-ce que le projet MARS (Station de recherche en acoustique marine) ?
Il s’agit d’un projet de recherche appliquée initié par l’Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER), l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et Innovation maritime (IMAR) avec l’appui de Multi-Électronique (MTE) et OpDAQ Systèmes. Il consiste à implanter et opérer une station de recherche en acoustique marine de niveau international sur le Saint-Laurent. La station sera au centre du chenal Laurentien, au large de Rimouski. Cette zone, reconnue pour l’abondance et la diversité des mammifères qui la fréquentent, présente plusieurs caractéristiques favorables pour l’implantation de la station de recherche (bathymétrie, faibles courants, etc.).
Ces caractéristiques et la configuration des mouillages prévus pour la station permettront de mesurer la signature acoustique des navires opérant sur le Saint-Laurent selon des normes reconnues au niveau international. À notre connaissance, une telle station n’existe pas dans le monde. Son caractère unique permettra au Québec de se distinguer sur le plan de la recherche en acoustique, tout en apportant des réponses pratiques quant aux moyens de mitigation pouvant être mis en place pour réduire l’impact sonore des navires sur les mammifères marins.
Le projet MARS fédère plusieurs acteurs de la recherche ainsi que des entreprises soucieuses d’améliorer leur impact environnemental. Il a reçu l’appui de plusieurs organisations intéressées par la cohabitation harmonieuse entre le transport maritime et les mammifères marins. Les armateurs associés au projet sont CSL, Desgagnés, Fednav et Algoma. Deux PME de Rimouski actives dans le domaine maritime – OpDAQ Systèmes et Multi-Électronique – seront également partenaires. Le projet est d’ores et déjà en cours et se terminera en mars 2024. Il bénéficie de l’appui financier de Transports Canada, du ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec et des partenaires privés.
D’où est venue l’idée d’en apprendre davantage sur les impacts du bruit sous-marin et quelles démarches avec les armateurs ont dû être effectuées afin de rendre ce projet possible ?
Il est connu que le bruit des navires a des effets notables sur les mammifères marins. Ceux-ci utilisent les sons pour notamment communiquer entre eux (mère/veau) et s’alimenter (recherche de proies). Plusieurs recherches ont été réalisées pour mieux comprendre l’impact du bruit sur les mammifères marins, particulièrement les bruits d’origine anthropique comme celui des navires. Toutefois, les travaux portant sur l’empreinte sonore des navires, les sources de bruits à bord et les moyens de mitigation sont moins nombreux. En 2017, Innovation maritime a proposé, avec des partenaires privés, un premier projet d’envergure touchant l’acoustique des navires et la mise en place d’une station de recherche sur le Saint-Laurent. Ce projet n’avait malheureusement pas obtenu le financement visé. À la faveur d’un atelier portant sur le bruit sous-marin organisé en 2018 par MERLIN (Technopole maritime du Québec), l’idée de mettre en place une station de recherche a été relancée.
Cet atelier a donné l’élan requis pour rallier plusieurs partenaires au projet et, ensemble, en préciser les objectifs et les activités. Depuis 2018, nous travaillons en collaboration étroite avec l’ISMER et les partenaires privés afin de peaufiner la méthodologie et, surtout, obtenir le financement requis pour la mise en œuvre du projet. L’implication de CSL, Desgagnés, Fednav et Algoma a permis de bien prendre en compte les besoins des armateurs et aussi de faire valoir toute l’importance du projet auprès du ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec et de Transports Canada. Les appuis de la Sodes, de l’Alliance verte, des administrations portuaires de Montréal, Québec, Trois-Rivières et Saguenay, pour ne nommer que ceux-là, ont aussi été utiles pour faire avancer le projet. Somme toute, c’est un projet qui a nécessité, sur trois ans, passablement de démarches tant de la part de notre organisation que des autres partenaires. Nous sommes heureux de pouvoir maintenant nous engager dans la phase de réalisation.
Quels sont les travaux qui seront réalisés dans le cadre du projet et les retombées pour l’industrie maritime ?
Le projet comporte deux principaux objectifs. Le premier, porté par l’ISMER, vise à mesurer les niveaux de bruit des navires transitant sur le Saint-Laurent selon des normes internationales. Le deuxième, porté par IMAR, est de tracer le lien entre le niveau de bruit des navires, leurs conditions d’opération et les éléments à bord générant ces bruits pour évaluer et développer des méthodes de mitigation. OpDAQ Systèmes et Multi-Électronique apporteront leurs expertises notamment dans le déploiement en eaux profondes des outils de mesure et dans l’instrumentation des navires.
Ce projet permettra aux armateurs de disposer d’informations pour prendre des actions en regard du bruit sous-marin généré par leurs navires. De façon simple, le projet prévoit quatre grandes activités :
- Mesures de la signature sonore des navires
- Identification des sources et cartographie des chemins de transmission du bruit à bord des navires
- Développement d’une instrumentation autonome pour la mesure du bruit en continu
- Évaluation de l’impact des mesures de mitigation
Les résultats attendus pour les armateurs et les entreprises associées au projet sont nombreux. Soulignons notamment :
- Des diagnostics détaillés sur les sources de bruit à bord (pour les navires qui serviront de plateformes de mesures)
- Un outil éprouvé de mesure en continu des niveaux de bruit à bord des navires
- Des mesures par navire des niveaux de bruit à la source selon les normes internationales
- Des analyses quant aux moyens de mitigation pouvant être mis en place pour réduire le bruit des navires
Les retombées du projet MARS seront importantes, concrètes et, surtout, rapidement disponibles à la fois pour les partenaires et les intervenants gouvernementaux. Au-delà des retombées pour l’industrie, le projet permettra de développer, au Québec, une solide expertise en acoustique applicable au domaine maritime. Il permettra également de développer une nouvelle collaboration de recherche entre le Québec et la France puisque que l’équipe du projet MARS collaborera de façon étroite avec l’équipe du projet PIAQUO, une initiative majeure de recherche en Europe portant sur l’acoustique dans le domaine maritime.
Est-ce que tous les armateurs opérant sur le Saint-Laurent pourront bénéficier des travaux menés dans le cadre du projet MARS ?
Quatre armateurs, soit Fednav, Algoma, Desgagnés et CSL, sont directement associés au projet. Ceux-ci s’impliquent financièrement dans le projet, apporteront leurs expertises pour l’orientation de celui-ci et rendront disponibles au besoin leurs navires, de façon ponctuelle, pour les besoins du projet. Nous travaillerons de façon étroite avec ces quatre armateurs et les rapports qui seront produits, touchant directement leurs navires, leur seront remis de façon confidentielle. Il pourra s’agir de fiches individualisées relatives à la signature sonore de leurs navires ou de diagnostics techniques touchant le bruit et les vibrations à bord des navires.
Il est aussi prévu que l’équipe produise des rapports techniques plus globaux qui feront état des résultats du projet. Ils couvriront de nombreux sujets et seront destinés à la fois aux partenaires financiers et aux intervenants du milieu maritime. C’est dire que tous les armateurs pourront prendre connaissance des résultats du projet.
Notons aussi qu’il apparaît important, sur le plan de la recherche, de constituer une bonne base de données sur la signature sonore des navires. Les seules signatures des armateurs partenaires ne seront pas suffisantes pour amener la richesse d’information souhaitée aux fins des travaux de recherche. Nous chercherons donc aussi à établir des collaborations avec les autres armateurs domestiques qui souhaiteraient obtenir des informations quant à l’empreinte acoustique de leurs navires. Il est vraisemblable que cela puisse se concrétiser à l’automne 2021 ou en 2022. Nous verrons également, dans un deuxième temps, s’il y a de l’intérêt du côté des armateurs étrangers. Les modalités relatives à ces collaborations restent encore à définir.
Sylvain Lafrance, directeur général
Innovation maritime
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