Découvrez comment la conception des hélices crée des navires plus silencieux.
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Les hélices sont le moyen de propulsion le plus couramment utilisé pour les navires. Entraînées par un moteur, les hélices se composent d’un arbre terminé par des pales qui tournent dans l’eau, générant une poussée pour déplacer le navire. Les hélices sont disponibles dans de nombreux matériaux, tailles et modèles différents, chacun étant adapté à des conceptions de navires et à des conditions d’exploitation différentes.
Les hélices comptent généralement de trois à six pales qui ont un angle fixe (pas fixe) ou qui peuvent être ajustées en fonction des besoins opérationnels (pas variable ou contrôlable). Historiquement, les hélices ont été conçues en fonction de la vitesse et de l’efficacité. Bien que ces facteurs restent importants, les chercheurs et les ingénieurs – y compris ceux qui participent à des projets financés par l’INS – s’interrogent désormais sur la manière de rendre les hélices plus silencieuses.
Regardez cette vidéo pour comprendre comment fonctionne une hélice
Élaboration de mesures de réduction du bruit pour les bateaux d’observation des baleines à propulsion conventionnelle
DW-ShipConsult s’est associé à l’exploitant d’observation des baleines Eagle Wing Tours pour le projet « Development of Noise Reduction Measures for Conventionally Propelled Whale Watching Vessels ». La première partie du projet a exploré la manière dont les bruits de basse fréquence et de haute fréquence sont générés à des vitesses lentes et rapides. Le projet a pris en compte trois des navires d’Eagle Wing Tours : un catamaran équipé de deux moteurs entraînant des hélices à cinq pales, et deux bateaux rapides, l’un équipé de trois moteurs hors-bord avec des hélices à trois pales, et l’autre équipé d’hélices pénétrant la surface.

Dans l’ensemble, le navire équipé de l’hélice pénétrant la surface était le plus silencieux, même s’il se déplaçait souvent beaucoup plus vite que les autres navires. L’hélice étant à moitié dans l’eau et à moitié hors de l’eau, elle attire des bulles d’air dans la colonne d’eau lorsqu’elle tourne et ces bulles créent une couverture d’air qui atténue le bruit. En outre, comme l’hélice est située à la surface de l’eau et non à un mètre ou plus de profondeur comme la plupart des hélices conventionnelles, l’air introduit par le vent et les vagues entoure l’hélice, ce qui crée un effet d’amortissement supplémentaire.
Ce projet a permis de déterminer que la plupart des bruits de basse fréquence provenaient directement des moteurs. Les moteurs hors-bord du catamaran et de deux des vedettes rapides se sont également révélés être une source de bruit à basse fréquence, le bruit des gaz d’échappement se propageant dans l’eau. D’autres bruits à basse fréquence ont été observés. Il s’agit essentiellement de bruits aériens, c’est-à-dire de vibrations provenant des diverses machines à bord qui sont transmises à la colonne d’eau par la coque du navire. À grande vitesse, cependant, les profils sonores des navires étaient dominés par des bruits à haute fréquence provenant de la cavitation des hélices.
Optimisation des hélices pour la réduction du bruit
Historiquement, la marine a excellé dans la construction et l’exploitation de navires silencieux, le processus de conception donnant la priorité à l’élimination du bruit – les équipements sont montés sur des supports élastiques, tout ce qui vibre est assorti de tuiles d’amortissement pour absorber le son – afin que le navire puisse fonctionner en silence lorsque c’est nécessaire, généralement à des vitesses plus faibles. Dans le même temps, les navires commerciaux ont donné la priorité à l’efficacité énergétique pour réduire les coûts d’exploitation et ont cherché à maximiser la capacité de chargement. Afin d’appliquer le savoir-faire naval en matière de conception silencieuse aux navires commerciaux, Martec Limitée et Recherche et développement pour la défense Canada (RDDC) Atlantique se sont associés pour concevoir une hélice plus silencieuse pour le patrouilleur de classe Orca, sans pour autant réduire de façon significative l’efficacité opérationnelle des navires. Ces derniers sont des navires d’entraînement non combattants construits selon des normes commerciales et sont donc bien adaptés pour évaluer les possibilités de réduction du bruit pour un navire non militaire.
En étroite collaboration avec l’Institut néerlandais de recherche maritime (MARIN), le projet « Propeller Optimization for Noise Reduction » (optimisation des hélices pour la réduction du bruit) s’est concentré sur la conception d’une hélice modernisée pour les navires de la classe Orca de RDDC. La conception devrait offrir la même masse d’hélice et la même résistance à la rotation (moment d’inertie) afin que la nouvelle hélice puisse continuer de fonctionner avec les éléments existants du navire, comme la forme de la coque et le système de moteur. L’objectif était de vérifier le degré de réduction du bruit pouvant être obtenu en améliorant simplement l’hélice.
Les phases initiales du projet comprenaient des essais de mesure des vibrations à bord et des niveaux de bruit rayonné sous-marin à l’aide de la station d’écoute sous-marine du passage Boundary. Les mesures ont démontré que les niveaux de vibration à bord peuvent être utilisés pour prédire le bruit rayonné sous-marin et ainsi surveiller la cavitation de l’hélice. Actuellement, la cavitation sur le navire de la classe Orca commence à environ huit nœuds et demi. Comme le navire passe la majeure partie de son temps à naviguer entre 7 et 12 nœuds (avec une vitesse maximale de 20 nœuds), il cavite la plupart du temps. Augmenter la « vitesse de début » de la cavitation (la vitesse à laquelle la cavitation commence) à 12 nœuds supprimerait une source de bruit importante pendant une grande partie de l’exploitation du navire.

L’équipe du projet a utilisé des simulations de modèles numériques pour prédire le rendement de l’hélice et sélectionner une conception optimisée. L’hélice redessinée a ensuite été testée et affinée à l’aide d’un modèle réduit de 12 pieds de la coque de l’Orca et des réservoirs spécialisés à l’institut MARIN, équipés d’instruments pour mesurer le rendement de l’hélice et la vitesse de début de la cavitation. Cette méthode d’essai à échelle réduite est similaire à la mise à l’essai de prototypes d’avions en soufflerie. Les essais sur modèle réduit indiquent que l’hélice optimisée est exempte de cavitation jusqu’à une vitesse d’essai d’environ 14 nœuds et une vitesse commerciale légèrement supérieure à 12 nœuds. La vitesse commerciale comprend une marge de 20 % pour refléter les effets plus « réels » du vent, des vagues et de l’encrassement de la coque et des hélices. Ces résultats signifient qu’il n’y a pas de cavitation pendant les opérations typiques. Toutefois, l’hélice optimisée n’a pas encore été validée dans des conditions réelles, en grandeur nature.

Une étude de suivi sur modèle réduit suggère qu’en supprimant les contraintes relatives à la masse et à la résistance à la rotation, l’hélice pourrait être conçue pour le navire de la classe Orca, ce qui permettrait de repousser la vitesse de début de cavitation à près de 16 nœuds. Une telle hélice pèserait beaucoup plus que ce qui est autorisé si elle était construite à l’échelle réelle. D’autres expériences avec de nouvelles technologies comme les matériaux composites, seraient nécessaires pour obtenir une hélice qui pourrait fonctionner sans les contraintes de conception liées à la masse et à l’inertie. Les hélices en matériaux composites peuvent être deux fois moins lourdes qu’une hélice en bronze et plus souples. Un poids réduit et une souplesse accrue se traduisent par un fonctionnement plus efficace que l’hélice traditionnelle en bronze.
Parmi les autres améliorations qui n’ont pas été intégrées dans le navire de la classe Orca et qui pourraient contribuer à des opérations plus silencieuses, citons des isolateurs de vibrations, une isolation acoustique et des tuiles d’amortissement pour réduire le bruit des machines à l’intérieur du navire.
Conception d’une hélice en matériaux composites pour la réduction du bruit
Dans le cadre du projet de conception d’hélices pour les navires de la classe Orca, Martec Limitée et Lloyd’s Register ont entrepris des travaux liés à la conception d’hélices en matériaux composites pour la réduction du bruit, afin d’affiner et d’élaborer la modélisation et des outils logiciels pour améliorer l’analyse et la conception d’hélices en matériaux composites. Les améliorations apportées offrent une plus grande souplesse dans la modélisation des hélices et permettent également de comparer les résultats de l’outil de modélisation à d’autres études afin de valider et de vérifier les capacités de l’outil. En outre, une autre fonction a été intégrée pour détecter le moment où les hélices composites se déforment jusqu’au point de rupture. Cette fonction a été testée en utilisant le modèle d’hélice composite du navire de la classe Orca, décrit précédemment.
Un cadre innovant d’apprentissage machine fondé sur la physique pour les bruits de coque et d’hélice en champ proche (projet HARP)
Lors de la conception d’une hélice composite, les chercheurs et les ingénieurs utilisent une méthode appelée dynamique des fluides numérique pour comprendre et prédire l’écoulement de l’eau autour des hélices. Les chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique ont commencé à travailler sur le programme Intelligent and Green Marine Vessels (navires intelligents et écologiques) en 2017, en élaborant un cadre interne de dynamique des fluides numérique et multiphysique pour les outils de cavitation et de bruit rayonné sous-marin, en collaboration avec Seaspan Shipyards Ltd. et VARD Marine Ltd. Le résultat a été une toute nouvelle boîte à outils d’hélices déformables.
Le projet de l’Université de la Colombie-Britannique, « An Innovative Physics-Based Machine Learning Framework for Near-Field Noise from Hull and Propeller (HARP) », qui est toujours en cours, s’appuie sur des travaux antérieurs sur la dynamique des fluides numérique interne et les outils multiphysiques. L’objectif est de mettre au point de nouveaux outils pour aider les concepteurs de navires à prédire le bruit rayonné sous-marin pendant la phase de conception et à repérer les sources potentielles de bruit du navire. Les innovations en cours d’élaboration comprennent un nouveau concept d’hélices déformables et la modélisation des vibrations de la forme de la coque dues aux interactions entre les machines et les vagues. Le projet devrait être achevé en 2025.
Outils de dynamique des fluides numérique pour la prédiction du bruit rayonné sous-marin induit par la cavitation
La dynamique des fluides numérique a été utilisée par plusieurs projets liés à l’INS, comme le projet HyPNoS de Schottel (voir Article 1 : Technologie de détection et d’analyse du bruit rayonné sous-marin). Le projet de l’Université de Victoria « Computational Fluid Dynamics Tools for Prediction of Cavitation-Induced Underwater Radiated Noise » a cherché à intégrer cette méthode dans des outils rentables et conviviaux fondés sur un code source ouvert pour permettre aux chercheurs, aux ingénieurs maritimes et aux architectes navals (concepteurs de navires) d’être en mesure de prédire le bruit de la cavitation pendant la phase de conception.
L’utilisation de la dynamique des fluides numérique pour comprendre et prédire le bruit des navires peut nécessiter des simulations complexes et gourmandes en données. Bien que très précis, ces outils sont coûteux et longs à créer. Concevoir des outils rentables signifie construire un modèle prédictif moins complexe et moins gourmand en données, sans perdre les détails dont les chercheurs, les ingénieurs et les architectes navals ont besoin pour obtenir des résultats précis.
Pour relever ce défi, les chercheurs s’attachent à affiner les données nécessaires et à élaborer des modèles simplifiés applicables à certaines classes de navires. Les outils sont déjà mis à l’épreuve. Par exemple, une application de l’outil a permis de comprendre le bruit généré par une hélice marine dotée d’un gouvernail manœuvrable dans différentes conditions d’écoulement.
Les outils pourraient également fournir des indications sur la manière de modifier la conception des navires pour les rendre plus silencieux et éventuellement guider les procédures opérationnelles, par exemple la manière dont les manœuvres d’accostage pourraient réduire le bruit généré. Une fois le projet achevé, les chercheurs prévoient maintenir un site Web contenant les outils et des conseils sur leur utilisation; ces ressources seront toutes libres d’accès.
Cet article fait partie d’une série de cinq articles sur la technologie de détection et d’analyse du bruit sous-marin des navires.
Pour en savoir plus sur les nouvelles découvertes et les défis à relever pour rendre les navires plus silencieux, consultez les autres sujets de cette série ici.
L’Initiative pour des navires silencieux est financée par le gouvernement fédéral par l’intermédiaire de Transports Canada. Les partenaires industriels et les chercheurs intéressés par d’éventuelles collaborations en matière de recherche et de développement afin de faire progresser les solutions novatrices dans le domaine de la technologie marine sont invités à contacter l’équipe de l’Initiative pour des navires silencieux à l’adresse suivante : Marine-RDD-maritime@tc.gc.ca.
Cavitation : La cavitation d’une hélice est un phénomène créé par des changements rapides de la pression de l’eau autour de l’hélice. Lorsqu’une hélice tourne, elle crée une zone de basse pression d’un côté de la pale et une zone de haute pression de l’autre. Quand l’hélice tourne rapidement ou que le navire et l’hélice sont soumis à une forte charge, la chute de pression rapide provoque l’évaporation de l’eau et la formation de bulles de vapeur qui se déplacent sur les pales. Lorsque les bulles atteignent la zone de haute pression, elles s’effondrent et produisent du bruit.
Dynamique des fluides numérique : La dynamique des fluides numérique est une méthode utilisée pour étudier le mouvement des fluides, comme l’eau et l’air. Elle consiste à utiliser des ordinateurs pour résoudre les équations mathématiques qui décrivent le mouvement des fluides. Grâce à la dynamique des fluides numérique, les ingénieurs et les chercheurs peuvent créer des simulations virtuelles pour voir comment les fluides s’écoulent autour d’objets, comme les navires, ou de composants particuliers, comme la coque ou l’hélice. Comprendre comment l’eau se déplace autour des navires et interagit avec eux permet aux concepteurs de voir où la traînée ou les turbulences peuvent se produire et de se concentrer sur l’optimisation de la conception du navire. Nous pouvons également utiliser la dynamique des fluides numérique pour créer des simulations de différents concepts. Nous pouvons ainsi tester et affiner les composants sans avoir à les construire physiquement, ce qui permet un processus de conception plus efficace.
Hélice composite : Hélice fabriquée à partir de fibres composites, comme des fibres de verre ou de carbone, mélangées à des résines telles que l’époxy ou le polyimide, un type de résine à haut rendement et résistante à la chaleur. Les hélices composites sont généralement plus résistantes à la corrosion et à la fatigue que les hélices conventionnelles. En outre, elles sont plus légères que leurs homologues traditionnelles, offrent une plus grande manœuvrabilité et un changement de vitesse plus rapide, et peuvent adapter légèrement leur forme en réponse au débit et à la pression de l’eau (déformation adaptative). Les hélices composites peuvent donc être à la fois plus économes en carburant et plus silencieuses.
Hélice à pas variable : Une hélice à pas variable peut être efficace pour toute la gamme des vitesses de rotation et des conditions de charge, puisque son pas peut être modifié pour absorber la puissance maximale que le moteur est capable de produire. À pleine charge, un navire aura besoin de plus de puissance de propulsion qu’à vide. En faisant varier les pales de l’hélice au pas optimal, on obtient un meilleur rendement, ce qui permet d’économiser du carburant. Un navire équipé d’une hélice à pas variable peut accélérer plus rapidement à partir d’un point d’arrêt et peut décélérer beaucoup plus efficacement, ce qui rend l’arrêt plus rapide et plus sûr. Une hélice à pas variable peut également améliorer la manœuvrabilité du navire en dirigeant un flux d’eau plus important sur le gouvernail.
Hélice à pas fixe : Les pales d’une hélice à pas fixe sont réglées à un angle prédéterminé. Les hélices à pas fixe sont à la fois moins chères et plus robustes que les hélices à pas variable. Elles constituent généralement un bon choix pour les navires de haute mer, car le pas de l’hélice peut être réglé à l’angle optimal pour la vitesse de fonctionnement et les conditions de charge souhaitées.
Hélice pénétrant la surface : Contrairement à la plupart des hélices qui se trouvent sous la surface de l’océan, les hélices qui percent la surface sont conçues de manière à ce que la moitié de l’hélice soit dans l’eau et l’autre moitié à l’extérieur. Ce positionnement réduit la traînée et permet à l’hélice de créer plus de poussée avec moins de résistance à l’eau. Ces hélices sont le plus souvent utilisées pour les navires à grande vitesse.
Nœud : Unité de vitesse égale à un mille marin par heure, soit exactement 1 852 km/h. Un navire se déplaçant à 1 nœud le long d’un méridien parcourt environ une minute de latitude géographique en une heure.
Multiphysique : Une approche de modélisation couplée des études qui nécessitent de traiter simultanément des disciplines physiques auparavant considérées séparément et de les combiner pour générer des modèles mathématiques relationnels qui sont validés par des expériences contrôlées afin d’améliorer la compréhension du comportement naturel.