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La carboneutralité d’ici 2050 – Les détails techniques de la réglementation sont importants pour accélérer la décarbonisation des carburants marins

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Les mesures prises par l’Organisation maritime internationale (OMI) pour réglementer les émissions provenant de la production de carburant et pour prendre en compte tous les types de gaz à effet de serre (GES) – et pas seulement le CO2 – progressent lentement et ne retiennent pas beaucoup l’attention. Pourtant, ces détails réglementaires sont probablement plus importants que l’objectif de carboneutralité d’ici 2050 qui fait les manchettes, et voici pourquoi.

Une proportion croissante des émissions mondiales de gaz à effet de serre – 3 % et plus – provient de l’industrie mondiale du transport maritime. La majorité de ces polluants proviennent des grands porte-conteneurs océaniques, des pétroliers et des vraquiers qui transportent des produits finis, des matières premières, des minéraux et des denrées alimentaires dans le monde entier. Des mesures visant à freiner cette augmentation des émissions sont déjà en cours d’adoption, mais les modalités de leur mise en œuvre sont d’une importance capitale. Dans cet article, nous examinons ces modalités et pourquoi elles sont importantes.

Le méthanol et le méthane gagnent actuellement la course aux carburants de remplacement – quelles en sont les conséquences?

Selon les données obtenues par DNV Alternative Fuels Insights, la grande majorité des nouveaux navires en commande est désormais alimentée par des carburants de remplacement plutôt que par le mazout lourd traditionnel à base de pétrole. Le méthane (sous forme de gaz naturel liquéfié [GNL]) et le méthanol sont les choix les plus populaires. Bien que cela semble être une bonne nouvelle, des versions carboneutres de ces carburants sont encore loin d’être disponibles – comme l’a exploré Clear Seas dans un article précédent.

Le méthanol et le méthane semblent, à première vue, des carburants de remplacement attrayants parce qu’ils contiennent moins de carbone – la source des émissions de CO2 – que les carburants conventionnels à base de pétrole et qu’ils sont relativement peu coûteux. Mais la situation change quand tous les GES (et pas seulement le CO2) sont pris en compte sur l’ensemble du cycle de vie de la production et de la consommation des carburants.

Quand le méthanol est produit à partir de gaz naturel fossile – la méthode de production la plus courante – de grandes quantités de CO2 sont émises. Lorsque ces émissions de CO2 en amont de la fabrication du méthanol sont ajoutées aux émissions de gaz d’échappement du moteur du navire, le méthanol s’avère pire pour l’environnement que le carburant conventionnel à base de pétrole, et ce, d’environ 20 %.1 Si des réglementations prenant en compte les émissions de la production et de la consommation sur l’ensemble du cycle de vie entrent en vigueur, les exploitants de navires fonctionnant au méthanol devront chercher d’autres options que le méthanol d’origine fossile, largement disponible, s’ils veulent réduire leurs émissions de gaz à effet de serre – et ces options sont actuellement limitées.

Une usine de production de methanol [Methanex]
En plus d’être un combustible propre, le méthane est lui-même un puissant gaz à effet de serre. Ainsi, lorsqu’il s’échappe pendant la production ou sous forme de combustible non brûlé dans les gaz d’échappement des moteurs des navires, il neutralise les avantages de la réduction de la teneur en carbone du combustible décrite ci-dessus. Des chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique, soutenus par Clear Seas, ont constaté que, même si des mesures de contrôle des émissions de méthane sont disponibles à la fois dans la chaîne d’approvisionnement de la production et de la livraison des carburants et à bord des navires, il n’y a actuellement que peu d’incitatifs à les mettre en œuvre.2

Les armateurs et les exploitants de navires ne tiennent pas suffisamment compte des émissions de méthane

Le choix de carburant le plus courant pour les nouveaux navires de charge commandés aujourd’hui est le méthane – sous forme de GNL. La plupart des exploitants de navires espèrent réduire les émissions en passant au bio-GNL et, à terme, à la carboneutralité grâce à l’utilisation d’e-méthane3 dans les mêmes navires. Cependant, les décisions sont prises dès maintenant quant aux moteurs à gaz naturel à installer dans les navires alimentés au GNL en cours de commande, et ces navires seront en service pendant des décennies. Comme l’a montré la recherche soutenue par Clear Seas, il n’y a actuellement que peu d’incitatifs à installer des moteurs haute pression à double carburant, plus coûteux, qui réduisent les émissions de méthane. Il est nécessaire d’agir maintenant, alors que les navires sont encore sur la planche à dessin, sinon la technologie sera immobilisée sur le chantier naval et les possibilités de mise à niveau seront limitées.

Un porte-conteneur océanique propulsé au méthane

Ces navires alimentés au méthane devant être ravitaillés, les fournisseurs de carburant pour navires investissent également dans des usines de liquéfaction et dans l’équipement de ravitaillement nécessaire pour livrer le méthane sous forme de GNL. Il existe des usines de GNL équipées de compresseurs électriques à faibles émissions et de barges de ravitaillement dotées d’équipements de reliquéfaction permettant de capter les fuites de méthane, mais elles sont plus coûteuses.4 Les fournisseurs doivent avoir au moins la perspective de pouvoir faire payer une prime pour leurs produits ou de demander des crédits d’impôt sur les carburants à faible teneur en carbone pour justifier l’investissement accru. Sinon, l’autre solution est une infrastructure qui fuit en place depuis des décennies.

Les émissions provenant de la production de méthanol doivent être prises en compte dans les réglementations internationales sur les émissions des navires

Les armateurs choisissent peut-être des navires propulsés au méthanol en pensant qu’ils seront récompensés par les mesures de réduction des émissions de l’indice d’efficacité énergétique, actuellement incomplètes, qui sont récemment entrées en vigueur. Pour l’instant, ces mesures ne prennent en compte que le CO2 provenant de la combustion du carburant sur le navire. Une fois que des réglementations plus complètes qui tiennent compte des émissions en amont de la production de méthanol auront été adoptées, les transporteurs maritimes n’auront peut-être d’autre choix que de revenir à la combustion de carburants à base de pétrole à forte intensité de carbone.5

Les navires peuvent être propulsés au méthanol [Methanex]
Résoudre le problème du méthanol fossile est coûteux. Une option consiste à le mélanger avec suffisamment de bio-méthanol d’origine durable pour réduire la dépendance à l’égard du méthanol fossile à fortes émissions. Une autre solution consiste à capter et à séquestrer une partie du CO2 émis lors de la production. Mais ces projets mettront du temps à se développer et nécessiteront des investissements qui ne se justifieront que si le méthanol plus écologique peut obtenir un prix supérieur sur le marché – un prix qui ne sera atteint que si les émissions en amont de la production de méthanol sont correctement prises en compte dans les réglementations.

Que fait-on pour réglementer correctement les émissions de gaz à effet de serre des navires?

En juillet 2023, l’OMI a adopté une stratégie révisée de réduction des GES. Les États membres de l’OMI ont examiné plusieurs propositions concernant les niveaux d’ambition pour les objectifs de 2030, 2040 et 2050 visant à éliminer progressivement les émissions de GES sur l’ensemble du cycle de vie, ainsi que les mesures qui permettront au secteur de se rapprocher de ces objectifs. La majorité des États membres soutiennent la nécessité pour le secteur du transport maritime international d’atteindre la carboneutralité sur l’ensemble du cycle de vie d’ici 2050, de s’aligner sur la limite de réchauffement de 1,5°C, et d’éviter toute compensation hors secteur dans le même temps. Les mesures visant à aider le secteur du transport maritime à atteindre ces objectifs qui ont reçu un soutien comprennent un élément technique tel qu’une norme sur les émissions de GES des carburants qui commence à un niveau bas, augmente avec le temps et tient compte des émissions de GES sur l’ensemble du cycle de vie, ainsi qu’un élément économique comme la tarification des émissions de GES.

Toutefois, les objectifs et les mesures visant à atténuer les répercussions du transport maritime sur le climat ne peuvent porter leurs fruits que s’ils sont étayés par des paramètres appropriés qui tiennent compte de l’ensemble des GES et du cycle de vie complet des carburants de remplacement. L’indice de rendement énergétique des navires existants (EEXI) et l’indicateur d’intensité de carbone (CII) sont des mesures d’efficacité énergétique qui ne sont actuellement fondées que sur une mesure de l’intensité de CO2 (émissions de CO2 par travail de transport) pour contribuer davantage aux objectifs d’intensité de la stratégie initiale de l’OMI en matière de GES. Bien qu’il y ait eu des discussions au sein de l’OMI sur la modification des indices pour une mesure du cycle de vie qui tient compte de tous les GES, et pas seulement du CO2, aucune proposition formelle sur cette question n’a été faite au cours des dernières sessions de l’OMI.

La modification des indices existants afin d’inclure les GES liés au cycle de vie, en particulier le CO2, le méthane (CH4) et l’oxyde nitreux (N2O), est essentielle pour que le secteur du transport maritime international atteigne ses objectifs climatiques, s’aligne sur l’objectif de limitation de l’augmentation de la température à 1,5 °C, incite à choisir le(s) bon(s) carburant(s) et technologie(s) de remplacement et évite les risques d’actifs délaissés. Bien que ces sujets fassent l’objet de négociations actives au sein de l’OMI, aucun consensus n’a encore été atteint.

Équipe de recherche

Cet article a été rédigé en collaboration avec l’équipe de recherche de l’Université de la Colombie-Britannique qui travaille sur la décarbonisation du transport maritime.

Imranul Laskar
Chercheur doctorant dans le domaine des ressources, de l’environnement et de la durabilité à l’U.C.-B.

Amanda Giang
Professeure adjointe à l’Institut des ressources, de l’environnement et du développement durable de l’U.C.-B.

Paul Blomerus
Directeur exécutif et expert en décarbonisation des carburants marins chez Clear Seas

 

Références

1 Recherche de Clear Seas en cours sur les carburants marins et la réduction des émissions de gaz à effet de serre provenant du transport maritime

2 Laskar, I.I., Giang, A. (2023). « Policy approaches to mitigate in-use methane emissions from natural gas use as a marine fuel », Environmental Research: Infrastructure and Sustainability 3 025005.

3 L’e-méthane est du méthane synthétisé à partir d’hydrogène produit par électrolyse de l’eau en utilisant de l’électricité renouvelable.

4 On propose parfois des infrastructures temporaires comme le ravitaillement camion-navire ou des solutions conteneurisées portables afin d’éviter que le GNL ne s’enferme dans les combustibles fossiles. Cela va à l’encontre du but recherché. Les émissions de méthane à court terme résultant de l’évacuation du méthane avant, pendant et après les opérations de ravitaillement constituent un risque majeur lié à l’utilisation de ces équipements mobiles moins coûteux. Le ravitaillement en GNL à partir de jetées et de navires de soutage correctement équipés a plus de chances de réduire ou d’éliminer les émissions de méthane.

5 Les navires propulsés au méthanol sont capables de bicarburation et peuvent donc continuer à utiliser du mazout lourd conventionnel ou du carburant diesel pour remplacer le méthanol lorsqu’il n’est pas disponible.

Publié | Modifié le