Skip to main content
Article

Coincés en mer : la COVID-19 et ses répercussions sur les marins

lecture de 11 minutes
Partager

La pandémie mondiale et la demande accrue provenant des consommateurs et du secteur industriel ont perturbé la chaîne d’approvisionnement et révélé une crise de la santé et de la sécurité au travail chez les marins.

Le transport maritime est un maillon essentiel de la chaîne d’approvisionnement mondiale et plus d’un million d’individus y prennent part et travaillent en mer, sur les navires. Or, dans leur rapport de 2021 sur l’effectif maritime, le Baltic and International Maritime Council et la Chambre internationale de la marine marchande anticipent une grave pénurie de quelque 89 510 officiers de marine d’ici 2026.1 Malgré le rôle essentiel que jouent les marins dans le commerce maritime international, plusieurs sont soumis à des conditions de travail difficiles. La pandémie, qui a contribué à aggraver ces conditions, a, par la même occasion, empêché certains marins de rejoindre leur navire. Comment l’industrie maritime mondiale s’adaptera-t-elle à cette pénurie et en quoi cela influencera-t-il la santé et le bien-être des marins qui assurent le mouvement des marchandises?

Une recherche menée par une équipe de l’Université Memorial de Terre-Neuve dans le cadre du projet de Clear Seas visant à démystifier la gouvernance maritime a tenu compte de la crise de la santé et de la sécurité au travail à laquelle les marins ont été confrontés durant la pandémie. La recherche a également cerné les lacunes réglementaires dans le système de gouvernance maritime canadien et les actions nécessaires pour les combler.

En tant que première étude axée sur les marins canadiens et internationaux au Canada, et les défis en matière de santé et de sécurité auxquels ils ont été confrontés pendant la pandémie, la recherche explore les répercussions de cette crise mondiale sur l’industrie du transport maritime et ses travailleurs. Outre le risque d’infection, l’étude a révélé que les mesures de santé publique, notamment les exigences de quarantaine et d’isolement, ont créé d’importants défis involontaires pour la santé mentale et physique des travailleurs du transport maritime.

Ce blogue résume les points saillants de l’étude, notamment les lacunes réglementaires relatives à la gouvernance de la santé et de la sécurité maritimes qui ont été identifiées et les recommandations formulées par l’équipe de recherche en la matière.

Les marins étaient particulièrement vulnérables aux infections par la COVID

La pandémie et les mesures de santé publique qui en découlent ont considérablement interrompu le réseau de transport maritime et les chaînes d’approvisionnement mondiales. Les marins, en particulier, ont dû faire face à des défis disproportionnés dans les secteurs du transport domestique, international et des croisières. Par exemple, les équipages des navires de croisière étaient exposés à des risques d’infection par les passagers, comme cela a été rapporté dans le cas du Diamond Princess, de même que lors des opérations de chargement et de déchargement dans les ports des pays à haut risque. De plus, les mesures de santé publique visant à limiter la propagation de la COVID-19, telles que les restrictions de voyage et les confinements, ont compromis la sécurité et la durabilité du transport mondial de marchandises. Notamment, la fatigue des équipages, générée par de longs séjours en mer, constitue une menace à la sécurité de la navigation.

Les restrictions d’entrée pour les voyageurs internationaux qui ont été appliquées aux marins ont aussi perturbé les échanges d’équipages. Alors que quelque 250 000 membres d’équipage sont restés coincés sur des navires au-delà de leur contrat initial et incapables de retourner à la maison, un nombre similaire de marins sont restés coincés à la maison, incapables de rejoindre les navires. Cela a entraîné une grave détresse financière2 pour les marins qui ne pouvaient pas gagner un salaire et subvenir aux besoins de leur famille. La gravité du problème est illustrée dans cet article du Wall Street Journal sur le sort des marins décédés en mer durant la pandémie et dont les dépouilles n’ont pu être rapatriées aux familles et lieux de repos.

Les variants et des taux d’infection plus élevés ont conduit à l’immobilisation des navires

Avec la propagation subséquente des variants, les restrictions de voyage se sont poursuivies alors que même les individus pleinement vaccinés pouvaient être infectés et transmettre le virus.3 Les éclosions en Inde, le pays d’origine d’un nombre important de marins, ont exacerbé la pénurie de main-d’œuvre dans l’industrie maritime mondiale. Les principales plaques tournantes du changement d’équipage que sont Singapour, Hong Kong et les Émirats arabes unis ont interdit aux marins originaires de l’Inde d’entrer ou de transiter par leurs ports et aéroports.4 Des marins de tous les pays font face à une imprévisibilité importante en ce qui concerne le départ des navires pour le repos et leur retour sur les navires pour le travail.5

Quels défis les marins ont-ils dû relever durant la pandémie?

Durant la pandémie, les marins internationaux et nationaux ont été confrontés à des défis communs. Le fait de travailler dans l’espace confiné d’un navire et d’interagir avec du personnel se trouvant dans des états portuaires différents peut augmenter le risque d’infection, particulièrement en raison de la transmission par des individus asymptomatiques. La situation s’aggrave lorsqu’il s’agit de navires de croisière avec des centaines, voire des milliers, de passagers et de membres d’équipage à bord. Il est impossible pour ces derniers de maintenir une distance sociale de 2 mètres dans un lieu de travail aussi confiné, et dans lequel les multiples installations – cafétérias, toilettes, douches, buanderies – sont des espaces partagés.

La mise en œuvre de protocoles de sécurité appropriés est donc très difficile. Les obstacles auxquels se sont heurtés les marins qui approvisionnent les communautés nordiques du Canada au début de la COVID-19 sont illustrés dans le profil de Clear Seas sur le transport maritime dans l’Arctique.

Pandemic Challenges for Seafarers - FR
L’éventail de défis auxquels les marins sont confrontés dans le contexte de la pandémie

Alors que de nombreux Canadiens et Autochtones ont souffert de problèmes de santé mentale pendant la pandémie, les marins ont été confrontés à des problèmes de santé mentale supplémentaires à bord des navires.6 L’un des membres d’équipage indiens interrogés a ainsi comparé sa situation à une « prison maritime ».7 Les congés à terre, une récréation importante permettant aux marins de décompresser, ont également été restreints durant la pandémie en raison des mesures mises en place dans plusieurs pays. Les exigences de quarantaine et d’isolement avant l’embarquement et après le débarquement des navires ont considérablement réduit le temps de réunion des marins avec leur famille.8 Durant les périodes de quarantaine et d’isolement, les salaires ne sont pas garantis, ce qui réduit également les revenus des marins.

Après la mise à disposition des vaccins au début de l’année 2021, il a été difficile d’administrer les vaccins aux marins en temps voulu, car ils ne pouvaient pas se rendre dans les cliniques.9 Au 1er octobre 2021, le taux de vaccination des marins internationaux était d’environ 30 %.10 Même si un plus grand nombre d’États du port – dont le Canada, les États-Unis et l’Australie – ont fourni des vaccins aux marins internationaux, l’accès aux vaccins dans les ports reste difficile.11 Au Canada, Transports Canada a travaillé à ce que les équipages internationaux, dont les contrats étaient expirés, puissent recevoir de l’aide pour retourner dans leur pays.12 La Chambre de la marine marchande de la Colombie-Britannique a fournie de l’informations aux agents portuaires concernant les ressources disponibles pour soutenir les marins et a reconnu la contribution de Transports Canada dans la résolution cette situation difficile.13

Des lacunes réglementaires persistent dans la gouvernance de la santé et de la sécurité maritimes

La pandémie a exacerbé plusieurs lacunes réglementaires dans les régimes actuels de protection des marins au Canada, tant pour les marins internationaux que pour les marins canadiens :

  1. Un manque de compensation : les marins ont perdu temps et argent durant les périodes de quarantaine et d’isolement, sans dispositions pour du temps de repos supplémentaire ou une compensation salariale, malgré les exigences des lois et des normes du travail actuelles. Pour les marins canadiens qui font partie d’une main-d’œuvre dite « mobile », il est difficile de réclamer des indemnités, puisque ces dernières relèvent de la compétence des provinces.
  2. Des restrictions dans les des déplacements : bien que le Canada ait désigné les marins comme des travailleurs essentiels durant la pandémie, le manque de coordination mondiale pour faciliter le changement d’équipage entre les États souverains a créé une crise permanente d’échange d’équipage.
  3. Un manque de soutien sur les plans de la santé et du bien-être : en l’absence d’un engagement suffisant de la part des États du port, le système d’aide sociale maritime portuaire, qui repose en grande partie sur des organismes de bienfaisance et des bénévoles, n’est pas assez solide pour fournir un soutien suffisant aux marins, notamment l’accès aux vaccins, aux soins médicaux et aux services de santé mentale.

Résoudre le problème : des mesures pour combler le fossé

Cette recherche sur la santé et la sécurité au travail, menée dans le cadre de l’initiative de recherche plus large de Clear Seas sur la gouvernance maritime, a révélé que plusieurs mesures permettraient de résoudre certains de ces problèmes à court terme et d’aider le secteur et les responsables de la santé publique à faire face aux crises et pandémies futures. Notamment :

  • Une meilleure coordination entre les autorités maritimes et de santé publique; la gouvernance de la santé et de la sécurité opérationnelles maritimes ne peut être séparée de la gouvernance de la santé publique, ainsi que de la gouvernance de la sécurité maritime.
  • Une amélioration de la collaboration intergouvernementale en matière de gouvernance maritime, y compris la collaboration fédérale-provinciale et internationale pour garantir les droits des marins en matière de santé et de sécurité opérationnelles au-delà des frontières.
  • Une attention et des efforts soutenus de la part de Transports Canada, de l’Agence de la santé publique du Canada et des autorités provinciales, y compris les commissions des accidents du travail, pour relever les principaux défis auxquels sont confrontés les marins, notamment les congés à terre, l’exemption de quarantaine et l’accès aux vaccins et à des indemnisations à la suite d’infection à la COVID-19 sur les lieux de travail.
  • Une collaboration efficace avec les autorités provinciales et les autorités de santé publique pour permettre aux marins d’avoir accès au support nécessaire pour surmonter les défis opérationnels en matière de santé et de sécurité.
  • Une meilleure visibilité du Conseil national canadien du bien-être des gens de mer, qui a fourni une plateforme de collaboration essentielle aux gouvernements, aux syndicats, aux organismes de bien-être des marins, aux administrations portuaires et aux armateurs pour promouvoir la santé, la sécurité et le bien-être des marins, ainsi que la participation des autorités provinciales à la gestion des services nationaux de bien-être maritime au Canada. Notamment, les autorités provinciales ayant d’importants intérêts maritimes, comme la Colombie-Britannique, l’Ontario, le Québec, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador.

Un bilan humain pour l’industrie du transport maritime

La pandémie mondiale a eu un effet dévastateur; des millions de personnes sont décédées et des dommages incommensurables ont été infligés à l’économie mondiale. Le secteur du transport maritime a subi de graves répercussions, en particulier chez les marins qui n’ont pas eu accès aux vaccins ni à de bons soins de santé et qui, dans de nombreux cas, ont été coincés en mer ou sur terre, loin de leur famille et de leur gagne-pain. Si la crise a mis en évidence les lacunes du système de santé et le manque de préparation à une pandémie, elle a également mis en lumière la fragilité de la chaîne d’approvisionnement et la vulnérabilité des marins, souvent des citoyens pauvres et privés de leurs droits, qui assurent normalement son bon fonctionnement 24 heures sur 24. Plus important encore, elle a démontré la nécessité de mettre en place des mesures pour assurer la protection de ce groupe de travailleurs vulnérables et essentiels.

Équipe de recherche

Ce blogue a été rédigé en collaboration avec des chercheurs de l’Université Memorial dans le cadre du projet de recherche Démystifier la gouvernance maritime de Clear Seas.

Headshot of Desai Shan

Desai Shan est professeure adjointe à la Faculté de médecine de l’Université Memorial de Terre-Neuve. Elle est titulaire d’un doctorat de l’Université de Cardiff et est une chercheuse dévouée dans les domaines du droit maritime international et de la santé et de la sécurité au travail. Elle a publié une vingtaine d’articles de recherche et chapitres de livres sur les droits des marins canadiens et internationaux en matière de santé et de sécurité au travail.

Headshot of Alizera Jahanbaksh

Alireza Jahanbaksh est un candidat au doctorat en génie océanique et naval architectural à l’Université Memorial de Terre-Neuve. Il a aidé Mme Desai Shan dans sa recherche sur la gouvernance maritime canadienne et la situation du bien-être.

Headshot of Om Prakash Yadav

Om Prakash Yadav est titulaire de deux maîtrises ès sciences en médecine (santé communautaire) de l’Université Memorial de Terre-Neuve. Il a reçu de nombreux prix dans son domaine d’études, dont une médaille du mérite de l’UNESCO pour la présentation de sa cartographie de la distribution des polluants organiques persistants en Europe.

Références

1 Baltic and International Maritime Council (2021). Un nouveau rapport BIMCO/CIMM met en garde contre une grave pénurie potentielle d’officiers. Ashok Srinivasan.
2 Organisation maritime internationale. (2019). Soutenir les gens de mer en première ligne de la COVID-19.
3 Centers for Disease Control and Prevention. (26 août 2021). Delta variant: What we know about the science.
4 Nautilus International. (26 mai 2021). Indian Covid-19 outbreak threatens to worsen crew change crisis.
5 SAFETY4SEA. (16 août 2021). Hong Kong: Updated exemption conditions and quarantine arrangement for visiting vessels.
6 Pauksztat, B., Andrei, D. M., Grech, M. R. (2021). Effects of the COVID-19 pandemic on the Amental health of seafarers: A comparison using matched samples. Dans Safety Science, 105542.
7 Jackie Northam. (29 janvier 2021). ‘Sea Prison’: COVID-19 Has Left Hundreds Of Thousands Of Seafarers Stranded. National Public Radio.
8 SAFETY4SEA. (4 mai 2020). Crew changes: An overview.
9 Burke, D. (3 mars 2021). Seafarers “in dire need” of COVID-19 vaccination, says union. CBC News.
10 Global Maritime Forum. (2021, October 1). Improving seafarer vaccination rate, suggests Neptune Indicator, but challenges in repatriating and sourcing crew still remain.
11 North American Maritime Ministry Association. (2020). Covid-19 Vaccines for Seafarers.
12 SAFETY4SEA. (21 décembre 2020). Canada urged to address crew change problem.
13 Chambre de la marine marchande de la Colombie-Britannique. (10 août 2021). Immunizations information for seafarers in BC.

Publié | Modifié le